Des mots au hasard mis dans une enveloppe : Il y a, encore, assez, avec, sans, doucement, et la lecture des poètes : François Montmaneix, Philippe Jaccottet, Saint John Perse et voilà, c'est vendredi à l'atelier d'écriture...
"Il y a" avec Véronique M.
Il y a des jours et il y a des nuits,
il y a des heures et il y a des secondes,
il y a des moments où le temps s'arrête.
Ce "il y a" tire toute sa force de ce qui fait qu'on y est pleinement.
La force du regard, l'intensité de ce qui devient "soi", donne à ce "il y a" toute sa valeur.
Il y a des moments dont je ne me rappelle plus, par contre, dans ce que je me rappelle,
il y aune charge émotive et débordante, que ce soit de l'amour, de la haine, de l'attention ou du mépris.
Ce "il y a" a décidément une puissance de frappe qui dépasse l'entendement mais qui donne un bruit assourdissant à ce "il y a".
Il y a des moments de douleur qui "effractent" la pensée mais dont la sensation, sans avoir les mots pour le dire, peut tout de même dire:"il y a eu".
Il y a la mort d'un proche, il y a les mots que l'on ne comprend pas mais qu'on sent plein de reproches sans pour autant en comprendre la teneur.
Il y a les moments de bonheur intense, la peau de l'amoureux sur sa propre peau, et le souvenir éphémère mais puissant, imprime sur le corps quelque chose d'inéffaçable.
Il y a des moments de bonheur où s'inscrit quelque chose d'indélébile et procure un plaisir qui revient par moments, sans crier gare, à d'autres occasions, comme un rappel de ce "il y a eu". Les liens ne sont pas forcément compréhensibles, les situations sont souvent très différentes, mais revient ce "il y a eu" qui ne nous a pas quitté.
Il y a des fragments d'existence qui rappellent du vide et de l'angoisse, de l'effroi et de la panique et qui fugitivement reviennent à la pensée ou au corps, je ne sais.
Véronique M.
"Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus" St John Perse
"Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus"?
Il n'y a plus la chaleur de ton corps de mère, tes mots doux murmurés à mon oreille, ma petite main dans la tienne.
Il n'y aura plus les promrnades aux jardins des Tuileries, où tu nous emmenais faire des tours sur les petits poneys, il n'y aura plus ton visage de madonne que je garde comme une icône dans ma mémoire altérée; non, décidément, pour moi, l'enfance s'est arrêtée lorsque j'avais à peine quatre ans et que tu as disparu à jamais.
"Je t'ai raconté l'histoire de grands scarabées joueurs d'échecs" Jacques Prévert
"Je t'ai raconté l'histoire de grands scarabées joueurs d'échecs" un jour où tu étais alitée, fiévreuse et qu'il me fallait te distraire de cette maladie insidieuse et pénible.
Tu as ri aux éclats lorsque le grand scarabée a dit à son compère:"mais tu triches, ma parole, je n'en crois pas mes yeux.
Tu me fais prendre des vessies pour des lanternes et tu crois que je ne le vois pas!"
Et le grand scarabée a pris le roi et la reine et il a dit:"et bien alors, ils sont divorcés et ne jouent plus dans la même cour!"
Véronique M.
Les petits papiers de Pascale G.
Ecrire un texte contenant ces deux mots : « contre » et « doucement ».
J’étais doucement contre lui et il était doucement contre moi
Nos peaux s’épousaient si doucement. Contre lui, je me retrouvais dans sa bulle, et contre moi il se retrouvait dans la mienne.
Les heures s’étiraient ainsi doucement l’un contre l’autre et l’autre contre l’un
Le temps passait à la fois doucement et trop vite. Mais nous étions contre le temps parce que nous étions hors du temps.
Puis, il se dégagea tout doucement de moi et je restais immobile appuyée contre les oreillers.
Je le regardais évoluer doucement dans la pièce, gratifiée, aimée et aimante comme au premier jour.
Doucement, je sortais de ma torpeur amoureuse et le rejoignais dans le salon.
Et c’est encore doucement contre lui et lui doucement contre moi que nous fumions le même cigare en nous regardant éperdument et si doucement.
Pascale G.
de Fredaine
Avec douleur,
Avec bonheur,
Les mots se heurtent et se bousculent
Puis ils s’alignent. Ils nous entraînent
Avec eux
Vers les cieux
Ou bien, sans peine,
Vers l’enfer, vers le Styx.
Avec eux, nous traverserons le fleuve de l’oubli.
Avec les lignes noires qu’ils dessinent
Et que déjà la feuille devine,
Nous défierons Cerbère à la triple gueule
Puisque, avec les mots,
Nous ne sommes jamais seuls.
Avec d’autres mots
Qui, eux aussi, traceront
Des lignes noires sur papier blanc
Nous atteindrons le firmament.
Tels des notes de musique sur la portée de la vie,
Vie en sol,
Vie en fa,
Avec nous les mots plaquent des accords
Amples et sonores.
Une note ici, une autre là,
Avec des dièses ou des bémols,
Tous ces mots gravent dans le ciel des gerbes d’étincelles.
Etincelles des fureurs d’un cœur meurtri,
Etincelles d’amour du soleil de midi,
Etincelles de joies nouvelles
Avec les jours de pluie.
Avec mes amis les mots je chanterai la merveille :
Avec les mots apprivoisés,
La vie devient soleil.
Fredaine
CELUI
Par Claudine O.
Celui que j’attendais
Ou bien peut-être pas
Lui je croyais le voir
Le cerner le toucher
Le rejoindre enfin
Mais son âme me fuit même si son corps est là
Celui que j’appelais celui qui croit en moi
Mais ne se livre pas
Celui par qui pour qui je serai enfin moi
Et qui m’échappe encore pour mieux me revenir
Celui qui a les clés de mon être meurtri
Et qui peut s’en servir pour encore me détruire
Qu’il ne le fasse pas mais je ne peux le fuir
Est-ce bien celui-là
Celui que j’attendais ?
ICI
Par Claudine O.
Ici ou ailleurs que m’importe
Utile, futile, vivante ou morte
Je suis comme je suis
Et là où je me pose
Ici c’est l’instant
Ici c’est le présent
Ou déjà mon passé ?
Je ne sais où je vais
Ni même pourquoi j’y vais
Et ici pourquoi pas ?
Ici c’est mon refuge
Où je me cache de moi-même
Et si je me rencontre
Peut-être irai-je ailleurs
Et cet ailleurs sera mon ici
Ou bien ne sera pas
Ma douleur comme un peu de soleil dans l’eau froide (Paul Eluard)
Par Claudine O.
Ma douleur comme un peu de soleil dans l’eau froide s’impose et se retire au rythme de la vague.
Le soleil la réchauffe et la régénère et là elle me submerge. Et je reste sans un geste et sans un mot jusqu’à ce que ma douleur s’adoucisse et que je m’aperçoive que je survis.
Douleur ma vieille compagne, voilà six mois que j’essaie de t’apprivoiser. Pourquoi pas puisque nous sommes tenues de vivre en compagnonnage, toi et moi.
De remède il n’est point. Je cherche des trucs, des artifices, des remèdes de bonne femme pourquoi pas. Mais l’Homme sais guérir un cœur malade, mais nul ne sait recoller un cœur brisé.
Des artifices j’en ai trouvé. Que voulez-vous, j’ai beaucoup d’imagination…
Un autre amour, un faux amour, pour servir d’écran devant ma vraie douleur. Mais je n’ai eu d’écran que celui de mes larmes.
Soumettre mon cœur à la torture de l’effort pour remplacer la douleur du cœur par celle du corps.
Mais rien ne marche. Et ce dérisoire soleil ne réchauffe pas l’eau froide.
Désolée Monsieur Eluard…Ma douleur à moi, enchaînées dans la même galère.
Alors l’oublier. Comme un incontournable handicap. Faire avec. Regarder loin, regarder ailleurs, écouter ma respiration, fermer les yeux, chercher la paix dans les battements de mon cœur.
Et puis essayer moi aussi de me réchauffer à ce peu de soleil dans l’eau froide.
Claudine O.