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Elle avait une vue magnifique sur l’extérieur, le jardin, le poulailler, le superbe parc arboré des voisins.

  • Elle aimait s’y projeter, s’y noyer, s’y confondre.

Elle s’y enveloppait de brume les jours gris, ruisselait de pleurs les jours de pluie, étincelait les jours de soleil.

Elle levait les yeux au ciel, contemplant sa profondeur, extrapolant sur ce qui lui tomberait sur le coin du nez. Enfin, sur le coin. Ou en pleine face aussi. C’est selon…

Elle aimait aussi regarder à mi-hauteur ou au sol, s’amusait du caquètement des poules Cayenne, riait de leurs gloussements effarouchés et du gonflement de leurs plumes sous le vent. Elle s’attendrissait devant les sautillements du rouge-gorge, devant la danse des hampes florales ou des minuscules pâquerettes.

Elle faisait les gros yeux à la neige mais ne pouvait s’empêcher de la trouver sympathique.

Elle s’agaçait du manège des chats, sautant sur le rebord et la labourant de leurs pattes rougies de glaise. Ils laissaient des traces qu’elle jugeait abominables.

« Vous ne pouvez pas utiliser la chatière, non ? Elle est là pour ça, que je sache ! » leur hurlait-elle à pleine voix. Mais ces animaux-là ne comprenaient rien à rien et continuaient de la souiller.

Alors il lui venait l’espoir qu’on viendrait la secourir, la nettoyer, la rafraîchir.

Espoir vain la plupart du temps, la propriétaire des lieux n’était pas très attentive.

Mais ça n’était pas le pire.

Le pire, c’était ce voile dont on l’avait affublée.

Ce voile qui l’empêchait de regarder de l’autre côté, du côté intérieur de la maison.

Au premier plan, la chambre, avec en face une lointaine cousine donnant sur le couloir. Et encore, c’était bien flou, on devinait à peine.

Au-delà ?

Rien qui retienne l’intérêt, certainement, et pourtant elle aurait bien voulu savoir.

Et elle l’enviait, oh ! Comme elle l’enviait !

Il était fixé par le haut (il avait d’ailleurs fallu percer son encadrement pour faire tenir une tige, ce qu’elle n’avait que modérément apprécié).

Mais lui au moins, il pouvait bouger, danser, flotter du bas.

Il pouvait voir dehors ET dedans. Rien ne l’empêchait de voir, de TOUT voir.

Grâce à elle, il pouvait regarder dehors. A cause de lui, elle ne voyait presque rien dedans.

Il arrivait qu’ils se querellent à ce sujet. Ou à d’autres, car c’était sans conteste leur occupation principale de la journée.

-  Je ne supporte pas, disait-elle, les traces rouges et boueuses de ces sales bêtes de chats sur ma belle surface polie. Regardez un peu à quoi je ressemble, maintenant.

- Peuh, ce  n’est rien, rétorquait-il, vous au moins, ils ne vous égratignent pas ! en ce qui me concerne, ils me labourent et écartent toutes mes précieuses fibres de leurs griffes acérées, si bien que je suis criblé de trous !

- Je me demande, réfléchissait-elle tout haut, s’il va Lui prendre l’envie soudaine de se mettre à frotter… quoiqu’être inondée de vinaigre blanc n’est pas particulièrement confortable, je dirais même que c’est astringent. Et l’odeur qui en reste est un peu entêtante. Mais quel délice que le chiffon doux ! Cela fait tout oublier…. Et quel bonheur de se sentir propre et nette, sans trace pour vous faire loucher !

-Moi, se rengorgeait-il tout faraud, ce n’est pas le vinaigre que je sens, c’est l’adoucissant textile. Et après je me sens léger, léger….et je voyage du haut comme du bas, et même sur les côtés. Je peux me rouler en boule et me secouer comme un animal. C’est que j’ai droit à la machine, vous savez. Puis je me sèche sur ma tringle au soleil, afin de retrouver mes plis. Et grâce à moi toute la maison embaume.

- Arrêtez de vous vanter, voulez-vous !

C’est aussi grâce à vous et à vos plis que nous récoltons mouches, guêpes et autres frelons qui se retrouvent piégés entre nous deux et qui tapent du front et de la patte contre moi, en poussant des vrombissements de cauchemar !

 

La porte s’ouvre, chacun se tait. Peut-être est-ce aujourd’hui, le jour de grand ménage ?

Espoir déçu, comme souvent : les querelles intestines ne L’intéressaient pas, et les traces sur les carreaux encore moins. Elle prit un livre et referma la porte. Ils restèrent stupéfaits et déçus, en attendant la nuit. Demain, demain peut-être…

Mais le lendemain il pleuvait, ça n’aurait servi à rien de laver les carreaux, non plus que les rideaux.

Et ils reprirent leur dispute là où ils l’avaient laissée.

 

Séverine L.

 

 

Tag(s) : #Séverine L
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