Comment entre-t-on dans un tableau ?
Chez Turner dans une immense marine aux dominantes de blancs et de bleus, une barque rouge tracée d’un simple coup de pouce appuyée brièvement au milieu de l’eau verte ?
Chez Toulouse Lautrec, par la chevelure des femmes rousses tant aimées, demeurées si lointaines ?
Dans cette toile, le peintre surprend une femme après sa toilette assise sur le sol.
Sa peau de rousse pourrait être qualifiée de blanche.
Mais comme chez Vermeer, le blanc n’est jamais tout à fait blanc.
Le gris bleu domine la peinture, le drap posé sur un tapis foncé, le jupon clair, les lattes du plancher.
Le regard de l’homme derrière son chevalet décide de ternir le jaune doré des fauteuils en rotin.
Une bassine est esquissée de manière sommaire.
Toute la lumière et la force de cette composition réside dans la peau nue de ce buste vue de dos et surmontée d’un chignon de cheveux roux.
Un cou mince amorce le menton d’un visage fin, il a conservé un peu de couleur.
Sur le dos de la jeune femme, un champ de mines sous forme de touches de gris.
Il violente le jaune de Naples, martèle la colonne vertébrale.
Le peintre tente de battre cette résistance à coup de pinceaux rageurs.
La jeune femme oppose obstinément son dos et la dignité de sa pose au regard voyeur du petit homme.
Celui-ci poursuit son travail de sape du corps, griffe la cuisse de son gris punitif.
Il s’énerve, prend son gris de Payne presque pur pour finir la jambe du modèle dont il massacre le galbe.
Il finit par l’affubler d’un pied de forme grotesque, projetant ainsi sa disgrâce physique dans un geste définitif.
Mais c’est déjà trop tard, la grâce du modèle a imprégné la toile, il n’y a plus rien à faire.
Toulouse Lautrec jette quelques pièces et s’en va en claquant la porte.
Nini Peau d’Chien ramasse son dû, sourit légèrement en se rhabillant avant d’aller arpenter les trottoirs de la Bastille en chantonnant.
Valérie W