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S’ils sont pluriels, mes ailleurs me sont singuliers. Parfois fugaces ou minuscules, ou encore immatériels, de formes et états divers, inavouables ou simplement charmants, dévorants ou discrets, tenaces ou fulgurants… Tous mes ailleurs m’emportent, me soutiennent, m’encouragent aussi.

Mes paysages imaginaires réchauffent mes soirs de solitude de leur lumière. Certains caressent ma peau de leurs taffetas mouvants ou de leurs soies délicates. D’autres me chahutent au faîte des arbres ou à la crête des vagues. Si l’aube me surprend, je voyage dans chaque goutte de rosée avant de me déployer en une buée, souffle de la terre. Un sourire radieux ou édenté m’entraîne aussitôt au royaume des papillons qui volètent allègrement dans mon estomac. Je sais convoquer certains ailleurs toujours fidèles à mes appels : Puccini me promène au bord d’un lac de Toscane… Wagner m’oblige à grimper vers des châteaux accrochés au sommet de pentes escarpées… Mozart m’élance sur la balançoire de son génie… Chagall me nimbe de merveilleux… Picasso tord mes équilibres… Barrico et De Luca domptent la beauté des évidences… Yalom m’introduit dans des espaces érudits… Gracq et Yourcenar me font tanguer sous leurs phrases accomplies… et tant d’autres guident mes pas vers ces versants proches ou lointains.  Réguliers, périodiques ou intermittents, tous mes ailleurs m’enseignent, m’éblouissent quelquefois ou m’horrifient ! Ils donnent sens et signification à la succession des moments de ma vie. Ils portent en eux les forces qui me font défaut souvent, rassurent les gouffres sombres de mes doutes, raniment les braises des souches fumantes de mes espérances, parfois, tamisent les manques éternels… Les ailleurs comme un oxygène polymorphe, masqués ou travestis, enrobés d’un soupçon de songe, saupoudrés d’intimité. Aucune vie possible sans eux. Tout prisonnier se doit de rêver d’évasion pour survivre.

Certains lieux ou rencontres semblent propices, voués à la découverte de nouveaux ailleurs.

Il en est un, tout près d’ici… Une pièce peinte de blanc dont l’un des murs, entièrement vitré, met la vie de la rue en bocal. L’espace est à moitié occupé par une grande table rectangulaire aux pieds d’acier, blanche. Autour une dizaine de chaises de plastique moulé. Des gobelets de carton attendent café et thé en son milieu. Dans un coin de la pièce, posée par terre, une bouilloire patiente. Une dizaine de femmes arrivent l’une après l’autre. Ce ne sont que sourires, embrassades et exclamations autour du plaisir de se retrouver. Cahiers, carnets, feuilles volantes, stylos et crayons, ordinateurs portables exhumés de sacs souvent ventrus viennent recouvrir la grande surface. Un sujet d’écriture leur est proposé. Aussitôt le silence se fait. Chacune s’absente alors pour son ailleurs intime. Les claviers cliquètent, crayons et stylos ne connaissent plus de répit. Les visages sont concentrés. Les regards ne sont plus qu’intérieurs. Parfois un sourire fugace et égoïste éclaire un visage. Les minutes s’égrènent, emplies de mots encore silencieux. Puis arrive le moment de lire à cette assemblée toutes les moissons. Les voix sont souvent un peu étranglées par l’émotion du dévoilement ou intimidées et peu assurées. Les remarques bienveillantes fusent à la fin de chaque lecture, remerciements troublés de ces voyages inattendus au pays d’une autre. Ces ailleurs étrangers entraînent chacune vers une promenade féconde au sein de territoires méconnus dont nulle ne revient intacte. Repartir stimulée, intensifiée… enchantée !

La forêt… la mer… le ciel… un bébé qui rit… un canard suivi de sa couvée en file indienne… une confiture savoureuse… le nouvel amoureux de la voisine… la fourrure au bleu insondable d’un Chartreux… « L’homme qui marche »… un silence… un verre d’eau fraîche… le soleil sur la peau… un coquelicot qui se dandine… un bras accueillant… tant d’ailleurs hétéroclites qui nous guettent, nous attendent riches de leurs promesses tenues par nos imaginations.   

Dominique B.

Tag(s) : #Ailleurs, #Textes de l'atelier, #Dominique B., #l'atelier en ligne
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