Je marche sur les traces de Miguel qui s’impriment sur le sol dans un bruit mat. Devant nous, l’eau, quelques glaces éparses et rien que le silence dans le sillage des poules d’eau. Miguel aimerait me montrer cet endroit où les arbres sont encore au soleil, là où l’étang se déverse dans son trop-plein. En avançant, j’imagine la pose, ce que j’attends de lui, son profil sur l’eau au moment où le soleil descend, lorsque tout devient plus intense. Je ne le regarde plus que dans le viseur.
Il est là tout à moi, docile dans le cadrage. Je voudrais capter ce qu’il y a de sauvage et de libre en lui, ce que j’ai perdu moi-même, ce que je perds chaque jour dans ma petite vie étriquée. Il avance, marche, se retourne, regarde et sourit. Il s’appuie sur l’écluse au bois vermoulu, s’étend contre elle bras en croix quand je le prends de dos face au vide où l’eau s’engouffre. Parce que je lui ai demandé, il se déshabille, frissonnant, plus blanc que le ciel, membres écartés et tête de côté comme un supplicié. Je profite de la lumière bleue d’un froid glacial et je dis : « C’est bon, ça suffit. » Puis je range soigneusement appareil et objectifs avant de prendre sa main pour remonter le chemin envahi par l’ombre du soir. Miguel m’embrasse sur la joue et je devine son sourire dans ses larmes de froid. Nous rentrerons après la nuit, mais ce n’est pas grave.