Le pire n'est jamais sûr
Alors j'y suis allée. C'était l'automne. Tout n'était alors que froid et désespérance : sans travail, sans argent, j'avais faim. Avec mon dernier jeton de téléphone je suis allée dans la cabine du coin et j'ai appelé. Sur un petit papier collé au mur du prisunic j'avais trouvé un numéro. Quelqu'un cherchait une aide pour un enfant, pas très loin de chez moi. Paris était gris et froid, le métro puait et j'étais mal à l'aise dans ma jupe plissée démodée. Je ne connaissais pas ce quartier : de grands immeubles, genre cage à lapins d'après- guerre au milieu de jardins tristes tirés à quatre épingles ; mais le soleil a traversé quelques nuages et m'a encouragée. Plusieurs bâtiments puis des ascenseurs à choisir, j'en pris un rouge sang, métallique, affreux. Les portes se ferment sèchement, hermétiquement : le sort en est jeté et en plus c'est au sixième. Longue montée d'angoisse, habituée que j'étais aux échecs et aux déceptions. Aussi quand la double-porte grise et rouge s'est rouverte seule, quelqu'un m'attendait sur le palier. Un monsieur âgé souriant avec un accent autrichien m'a fait entrer. Imaginez ma stupéfaction ! La porte s'ouvre et là, miracle : un palais italien. Des couleurs, des tentures, des tableaux de peintres anciens dans de beaux cadres dorés, un paravent de soie brochée, du cristal au plafond, des meubles de haute époque et une terrasse donnant sur le "parc"; car tout soudain j'y vis un parc royal à la française, des arbres tout dorés par l'automne et la voix chaleureuse de mon hôte. Du grand et profond fauteuil où il m'installe, je l'entendis me prier de venir jouer, garder, soigner son fils en mauvaise santé. Un adorable petit garçon. Venir là tous les jours ? Cela fut une joie. Lire, inventer des histoires, jouer aux échecs, aux dames avec l'enfant de cinq ans ; regarder en film des Charlot en enlevant du mur le tableau du "Victimé" de la révolution et après quelques heures la venue de son père chargé de victuailles et de bon vin qu'il partageait avec moi ! Ah la vie pouvait être bonne de nouveau, la vie revenait.
Un fait divers
Le gamin s'est levé d'un coup, pourtant il fait nuit et demain il n'y a pas école, mais la télévision marche dans la chambre de sa maman. Elle ne verra rien ! Il a appelé, mais maman n'a pas bougé. Alors en douce sur ses pieds nus il se glisse vers la cuisine et va boire un verre d'eau. Peut-être qu'il reste un de gâteau dans le frigo ? Oui. Attention pas de bruit. Le gamin a six ans. Il boit, mange et repart vite vers sa chambre. Maman n'a rien vu. Chic. Pourtant ça l'intrigue et puis un câlin s'est toujours bon à prendre. Comme elle est absorbée par son film, elle le laissera peut-être monter dans son lit depuis que papa est parti, quelquefois, ben oui ça arrive : il n'a pas le droit, mais quelquefois ! Il tente sa chance, il n'a pas sommeil. Maman a ses longs cheveux blonds étalés sur l'oreiller, elle sent bon. Tout doucement il soulève le duvet et se glisse dessous. Veine, elle n'a pas bronché. Il se fait tout petit, ne colle pas trop et ferme les yeux. Peut-être a-t-il dormi finalement un bon moment ? Mais soudain il s'étonne, ouvre les yeux : le film est terminé, la télé monter une image fixe en silence. Le garçon se tourne et se retourne. Maman n'a pas bougé, mais comme elle a froid ? Il lui prend la main et la serre dans les siennes. Oui elle se réchauffe, mais ne lui répond pas. Alors timidement il appelle : " Maman ". Rien. Maman ne dit rien. Ah bon elle dort et il se rendort collé à elle.
Au petit matin, un soleil d'hiver palôt le réveille. Dans cette chambre ls rideaux sont plus légers que dans la sienne. Ah oui c'est vrai, il est dans le lit de maman. Tiens c'est bizarre, ses cheveux sont toujours étalés sur l'oreiller : o dirait qu'elle n'a pas bougé. Au fond tant mieux, elle ne s'est aperçu de rien et il s'apprête à repartir dans sa chambre. Quand quelque chose l'intrigue : maman a froid. Et si j'allais lui préparer un café chaud. Depuis quelque temps il sait comment réchauffer le café d'hier ; c'est facile : une biscotte, du beurre, le plateau est vite prêt et il le lui apporte. Ça lui fait plaisir, comme elle va être contente, elle aime bien qu'il se débrouille tout seul. Ah oui un peu de confiture aussi.
Il pose le plateau sur le lit et prend la main de sa mère sous la couette, mais elle ne bouge pas. Que se passe-t-il ? "Maman" appelle-t-il doucement " Du café tu veux ?" Elle ne bouge pas. Alors il la presse dans ses bras, l'embrasse, la secoue "Maman, tu as froid ? " Ses yeux sont mal fermés, mais ne regardent pas, elle a une drôle de tête.
Quand le grand-père arrive, il trouvera le gamin agrippé à sa mère, lui parlant, essayant de la distraire avec un magazine : il n'a pas encore compris.
Dans le journal du jour :
" Ce matin un homme a découvert sa fille morte depuis la veille au soir dans son lit. Son enfant de six ans l'a veillée toute la nuit en tentant de la réchauffer et de l'éveiller sans comprendre."
Fière
Il fallait que je sois bien amoureuse pour préparer à la demande de mon mari et ses consignes ce plat au four. Déjà allumer le four à gaz ! Le plat fut paraît-il réussi. Quelques œufs, du chou-fleur croquants à point, dorés et à explosions boursouflantes, j'eus droit à tous les compliments de mon mari. " Tu vois, me dit-il, tu parles de métier, d'études, mais tu dois être fière d'avoir réussi ce gratin !" Pour lui qui consacrait beaucoup de temps à de grandes préparations de paella, m'en m'envoyant au marché acheter quelques crevettes, quelques haricots verts, ou une poignée de petits pois, un oignon, un seul, un soupçon d'ail, du curry et un riz très "espécial" à jeter en pluie au bon moment, et j'oublie, des calamars, des langoustines, bref, là je devrais être fière !
Fière d'avoir réussi un gratin ? Merci à mon ex-mari j'ai compris !
Marine Vallerie