Franchissement
Passer d’un lieu à l’autre
Passer d’un temps à un autre,
Ce franchissement a été net!
Avant, après, entre les deux, le vide.
Avant, l’amour, la présence la douceur, le jardin en pente parsemé de roses,
L’impression que tout est possible.Après, les feuilles mortes jetées dans le déversoir,
Et que je regardais disparaître dans l’eau saumâtre de la Seine,
La sécheresse, le désespoir et cette ville de Nogent que je détestais,
Et cette femme aux yeux d’acier qui me faisait peur.
Comment franchir ces deux rives?
Comment traverser cet abyme?
Ce n’est qu’après des années d’errance,
Que j’ai senti qu’une transformation était s’opérait,
Et qu’un aller-retour, aussi pénible soit-il, était faisable.
Maintenant, le monde ne me fait plus peur,
Je suis dans le mouvement.
La vie est là !
Encore
A partir d’un extrait d’un livre de Kennet White:«la route bleue»
«j’ai vécu là-bas tout un hiver
une fois encore, encore une aube, encore une route…".
Encore une aube au creux de tes bras,
le coeur dans les étoiles,
l’oreiller qui sent la châtaigne,
et cette petite chambre qui sentait le moisi,
mais qui, éternellement, me rappellera toi.
Toi et tes errances,
toi et tes cauchemars mais aussi tes rêves magnifiques,
ta Sardaigne natale et ce petit village,
sombre, caché dans les chemins escarpés et feuillus.
Quand une légère odeur de moisi
me chatouille les narines,
inexorablement, un raz de marée
me fait gonfler le coeur.
Je sens ma poitrine qui se soulève,
mon souffle se fait court
et en fermant les yeux,je te vois.
Je te aime et te haine,
pour toujours et à jamais,
la Sardaigne, comme une peau intérieure,
me tient et me retient.
Gravée, marquée dans ma chair,
je t’emporte avec moi,
mais jamais je n’y retournerai.
Comme un trésor en creux,
le vide laissé en héritage,
est un lieu très précieux,
par où repassent sans cesse,
mes jours et mes nuits.
Avant et après
Elle habitait Paris et ne fit que traverser la Seine.
Mais de rive droite à rive gauche, c’était comme Rome et Florence!
Le taxi ne mit que dix minutes pour effectuer le trajet,
Mais le dépaysement était là.
Aussi beau, mais une âme différente.
Elle sonna chez ses amis et un inconnu dont se dégageait
Ce «je ne sais quoi» qui la fit tressaillir lui sourit et lui dit:
«Oh, comme c’est original, un bouquet, une bouteille, vous avez fait fort!».
Elle aurait pu se vexer, mais, va savoir pourquoi, cela la fit sourire!
L’espace d’un instant, leurs regards se croisèrent et Soizik sut de suite
Que sa vie se heurtait à un tsunami aussi tumultueux que sa vie actuelle était monotone.
Son ressenti se révéla juste.
A ce dîner mondain où elle n’avait pas envie d’aller,
Elle s’était faite pourtant belle, habillée sans conviction mais tout de même avec goût.
Après cette entrée en matière ironique où il avait ébauché un sourire charmeur,
La magie opéra.
Sa vie d’avant disparut comme si elle n’avait jamais existé,
Et elle comprit qu’elle avait rencontré
Celui qui désormais allait changer le cours de sa vie.
Ce qu’on ne retrouvera pas
Je n’irai pas à la recherche des lieux maternels, comme je ne peux aller à la recherche des lieux paternels, mon père ayant été déposé à trois jours devant la maison des sœurs du Bon Secours dans le 14 ème à Paris.
La fuite de Moldavie pour l’un, l’abandon pour l’autre, mes racines sont autres.Ce ne sont d’ailleurs pas des racines, ce sont plutôt des rhizomes, des constructions fictives ou réalistes qui m’ont fait me trouver après m’être perdue.
Le lieu est pour moi plus intérieur que géographique.
Se perdre pour se trouver, puis accepter de perdre pour se retrouver.
Le chemin, ardu, douloureux, épineux, difficile mais nécessaire pour persévérer dans ce que je pensais être et que, bien sûr, je ne suis pas!
Qui suis-je? Etre en devenir permanent, sur le fil de la vie. Accepter de laisser tomber les encombrements et les ornières pour respirer dehors car c’est le dehors qui nous révèle à nous-même et nous permet de devenir.
«Acquiers ton héritage pour le posséder; ce petit livre d’Edmond Jabès:«un étranger avec un petit livre sous le bras», m’a fortifié dans ma quête.
Bien sûr, j’irai dans doute dans cette Russie maternelle, mais c’est plus par sororité que par urgence vitale.
J’ai cessé de me torturer sur ce que je ne savais pas car finalement, la vie est toujours incluse dans ce «je ne sais pas».
Les secrets enfouis, les contradictions familiales entre ce qui est perçu et ce qui est dit ne me persécutent plus.
Je dirai même que cela, à terme, m’a enrichi.
J’ai failli me perdre et en mourir mais maintenant, ce que je sais, c’est que mourir à soi-même est le secret du bonheur.
Véronique Meneghini