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Bien rangés sur l’étagère par ordre de taille décroissante, les couverts sont à l’abri de la lumière dans le placard de la salle à manger. A l’abri de leurs voisins aussi, puisqu’une planchette recouverte de feutrine rouge sépare les groupes d’individus : cuillers, couteaux, fourchettes ; de même pour les entremets : cuillers, couteaux, fourchettes. Pas un bruit, personne ne bronche. Pour leur part, les couverts à poisson, tout au bout de la rangée, dorment profondément : les maîtres de maison n’aiment pas le poisson, par conséquent ces heureux objets ne risquent pas d’être dérangés avant un bon moment.

Tout à coup la porte s’ouvre, projetant une lumière éblouissante.  « Aïe ! Un peu de douceur quoi, je viens » lance la fourchette à la main qui, autoritairement, prend cinq fourchettes d’un coup tandis que l’autre main saisit cinq couteaux qui protestent à leur tour. Prestement les deux ustensiles essentiels trouvent leur place de chaque côté de l’assiette. A gauche, la fourchette repose sur ses quatre dents pointues qui creusent très légèrement la nappe, à droite le couteau, tranchant de lame tourné vers l’assiette, repose sur un porte-couteau.
N’y tenant plus, la fourchette attaque : « Tu en as de la chance toi, couteau, de reposer sur cet objet raffiné conçu rien que pour toi ! Regarde ! Moi, on m’abandonne, nue, sur cette vaste table. Sans protection aucune, c’est extrêmement gênant…
-Oh, tu sais, le porte-couteau en définitive, ce n’est pas très confortable et de plus c’est bien contraignant ! Si je ne retombe pas juste dessus, les foudres de la patronne fondent sur moi, pauvre petit couteau…
-Au fait, couteau, à quoi sers-tu vraiment ? Aujourd’hui c’est du steak haché d’après ce que j’ai compris. Tu pourras te reposer pendant que je travaillerai d’arrache-pied.
-Eh, tu oublies les légumes alors ? D’ailleurs par habitude, chez nos maîtres on prend quasi simultanément la fourchette d’une main et le couteau de l’autre. C’est dire que je ne serai pas au chômage, ne t’en déplaise.
-Heureusement que tu travailles, vieux mono-lame, c’est bon pour la santé. Dis-moi, es-tu bien propre ce matin, on te nettoie rarement à fond, toi. Quant à moi au contraire, ravissante fourchette en argent, on me polit fréquemment depuis le bas de mon manche jusqu’à la pointe de mes dents avec un produit qui fait un merveilleux peeling. Après quoi, le lustrage au chiffon tout doux puis l’immersion dans une eau bien chaude sont un enchantement. Ah si tu savais !
-Hum ! Et toi, si tu savais la corvée que cela représente pour la patronne, je l’entends maugréer lorsqu’elle se met à la tâche.

Mais, petite fourchette, je dois te faire une confidence... Sais-tu que malgré ta mauvaise humeur et tes sarcasmes, malgré ta coquetterie, je t’aime bien, moi ! As-tu réfléchi à la merveilleuse et nécessaire complémentarité qui nous unit ? D’ailleurs, pendant que tu faisais une grande toilette, l’autre jour, j’ai écrit des mirlitons pour toi. Écoute :

Ma copine la fourchette
Est vraiment très chouette.
La voici partie
Oh comme je m’ennuie !
Mais moi je l’attends là.
Et quand elle reviendra,
Toute proprette
Et mignonnette,
Nous ferons la fête !

-Ah, répondit la fourchette tout émue, si je le pouvais - mais fourchette suis - je rougirais bien jusqu’aux oreilles, et tu devinerais mes sentiments … »

Fredaine

 

Tag(s) : #Fredaine, #Textes de l'atelier
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