Un stage d'écriture, quatre jours près de la mer dans un bleu insolent. Remontée de la Rance jusqu’à cette entaille de la ville dans le vert des forêt.
Et maintenant, fragments d’un été précoce avant que je ne m’efface dans le kaléidoscope de leurs portraits.
J’ai voyagé dans leurs regards, avec leurs mots, je les ai guetté sur la page blanche de leurs carnets quand tête penchée, elles écrivaient d’un jet, lèvres serrées. Elles, des femmes… Les marcheuses, les baigneuses, les fumeuses, les silencieuses, les amoureuses et puis les rêveuses dont je fais partie.
Laquelle a écrit « ma plus belle route c’est toi » ? je ne sais plus, peut-être celle que je revois de profil sur son cahier. D’humeur toujours égale, pudique et réservée. J’aime son geste quand elle saisit sa cigarette entre les doigts, la porte à la bouche avant de la reposer pour relire encore une fois son texte. Puis elle se lève sans le quitter des yeux et se dirige vers le jardin pour fumer, enfin…
A ma droite, sur la grande table recouverte d’une nappe écossaise, son écriture de gauchère violette sur la page, lisible et régulière sous l’arc bombé de ses paupières. Elle écrit les yeux fermés, jonglant d’une langue à l’autre, femme rhizome toujours en quête d’une destination.
Mains froissées sur la page, elle étire ses brouillons frileuse, endolorie mais à la lecture, ses mots s’envolent tels des papillons quittant leur chrysalide. Elle aime Edmond Jabès et écrit son livre intérieur. Pour elle « Mourir à soi-même est le secret du bonheur. »
De loin, son rire annonce la vague, son roulement et le fracas de l’écume. Elle a ce rythme particulier des grandes épopées venues d’Anatolie. Avec elle tout est fécond, riche et lumineux. Nous en restons toutes bouche bée et on redemande.
Changeante et subtile, fantaisiste et rigoureuse, elle n’est pas du matin mais tout lui va à ravir jusqu’à l’aube d’un départ. Bleue et régulière, son écriture rappelle son présent singulier, un temps qui n’appartient qu’à elle, aussi impérieux que son bonheur de vivre.
C’était son premier atelier et c’est une première fois réussie. Droite, libre, elle écrit à l’écart en prenant sa respiration comme pour une plongée sous-marine. Dans le bleu de ses yeux, des rêves d’ailleurs et d’Ukraine, des renoncements, une force tranquille.
En anorak rose dehors comme dedans, elle nage pourtant sans hésiter dans les vagues nudistes et glaciales des plages discrètes. C’est une première fois et nous aussi « pour le meilleur et pour le rire ». Nous l’écouterons encore je l’espère, nous lire de sa belle voix claire sa prose douce et lisse comme ces découvertes partagées : une eau chaude au goût de mélisse ou cette feuille étrange à la saveur d’huitre sur la langue.
Sous d’autres latitudes on l’a appelé Gazelle et elle n’a pas aimé. Derrière ses cicatrices et son humour, elle cherche une passe vers le grand large. Elle a épousé un jour Saint Malo pour ses murailles et pour nourrir sa passion. Elle ira jusqu’à Vladivostok, longera le fleuve Amour surement et goutera l’eau rien que pour le nom. Pour elle le bonheur c’est la révolution.
A toutes merci pour ces jours d’écriture et de partage.
Sybille