Atelier écriture vendredi 8 septembre 2017
Après une lecture de K.O. Knausgaard
un bruit de son enfance, au passé
Deux notes, un souvenir
19 heures 25. La cloche sonnait pour annoncer que le dîner était prêt. Il fallait descendre, toutes affaires cessantes. Cavalcade bruyante dans l’escalier, dont le tapis par bonheur étouffait le vacarme des quatre paires de pieds qui dévalaient les marches. Ton petit frère, à califourchon sur la confortable rampe en bois, poussait des cris : la cire du bois freinait la descente et crissait en pinçant les cuisses nues de l’enfant. Il regrettait bien de n’avoir pas encore l’âge de porter des pantalons ! À 19 h 30, après le brouhaha inévitable de l’installation, vous étiez tous assis à table. Sauf votre père dont la place restait vide, comme d’habitude.
Ta mère ayant agité sa sonnette aigrelette, Maria entrait dans la salle à manger portant avec précaution la soupière fumante. Tu entends encore le son ténu de la louche s’appuyant discrètement au fond de l’assiette lorsqu’elle vous servait. Les cuillers allaient bon train en une joyeuse cacophonie. Vous étiez à peu près calmes, hormis quelques glissements de souliers sur les barreaux des chaises, et les craquements du pain croustillant posé à côté de l’assiette. Au fur et à mesure du dîner, vous attendiez l’arrivée hypothétique du chef de famille. Bien hypothétique car généralement il rentrait lorsque vous étiez déjà couchés.
Mais ce soir, était-ce bien lui qui arrivait ? Tu ne te trompais pas ?
Couinement de la lourde grille sur la rue, vrombissement du moteur franchissant le seuil, grincement des vantaux refermés avec un fracas qui s’accompagnait du bruit sec des deux tours de clefs : tout cela était de bon augure. Dans le chenil, tout à la joie de retrouver leur maître, les chiens jappaient, aboyaient, griffaient le grillage qui entrait en vibrations sonores. Lui calmement les apaisait de la voix chaude que tu aimais tant.
Suivit un moment de silence, le temps de traverser le jardin. Enfin, tu entendis l’écho de pas qui gravissaient pesamment, marche après marche, l’escalier conduisant du jardin au rez-de-chaussée, puis un soupir de soulagement en haut des marches.
Alors s’élevèrent les deux sons qui pour toi resteront toujours liés au souvenir de ton père. Ceux que jamais tu n’oublieras. Un son mat, un peu sourd : celui de la serviette en cuir que ton père jetait sur le gros meuble en bois de l’entrée. Puis le tintement du trousseau de clefs posé avec application dans le vide poche. Ces deux sonorités rassemblées et toujours dans le même ordre, ces deux notes-là, l’une grave, l’autre aigue, étaient les siennes et seulement les siennes, tu ne pouvais pas de tromper. C’était bien lui.
Voici que les pas frappaient le dallage de l’entrée, s’arrêtaient de l’autre côté de la porte de la salle à manger. Tous, vous écoutiez, le cœur battant. Le pêne de la serrure ayant produit son inimitable mélodie, la poignée n’ayant pu retenir son gémissement habituel, la porte s’ouvrit toute grande. D’une seule voix, l’exclamation jaillit, pétillante : « Bonsoir papa ! »
après la lecture d'un texte de Georges Duhamel,
Comment on peut être saisi par le silence qui suit un évènement.
L’orage
L’éclair blanc zèbre le ciel de part en part. Sa fulgurance aveuglante nous saisit, nous laisse sidérés. Par la fenêtre, pendant à peine une seconde, la nature nous est apparue implacablement immaculée, presque luminescente, hyperréaliste dans l’abondance de ses détails soudain révélés, mais indécelables par le regard humain.
Plus aucun bruit, pas un frémissement, pas un son, rien ne parvient à nos sens. Tout est figé, tout semble tendu vers ce qui va advenir. Seul le silence lui-même, dressé comme une statue de marbre, palpite d’une vie intense. Il est suspendu à l’inévitable chute de la foudre. Il attend le fracas du tonnerre proche ou lointain, le claquement audible ou non sur la cible choisie par les éléments, qui mettront fin à cette attente muette - une éternité - que nous avons appelée silence.
Silence, il est tant de silences.
Fredaine