Le chemin des douaniers
Du petit sentier où mon pas rêveur me mène, j’aperçois un voilier, figure insolite campé sur l’herbe mouillée.
Ce chemin odorant où de chaque côté, les branches des arbres cherchent à se rejoindre, découvre le sable couleur sienne brûlée.
Une barque, couchée sur le flanc, me fait signe que la marée lui viendra en secours pour la redresser.
En poursuivant ma ballade un brin de mystère réside dans le bras coudé du chemin où rien ne se voit.
Qu’y-a-t-il derrière?
Accompagnée par le chant des grillons éveillant la nature, j’aperçois des églantines odorantes qui se cachent derrière les feuilles.
Soudain, derrière le coude, la mer, ample, majestueuse; je chancelle devant cette immensité et la réalité me rattrape car, perdant l’équilibre, je m’appuie sur un épineux; mes doigts me font une piqûre de rappel: non, la nature n’est pas que douceur!
L’anse qui se découvre n’est pas seule: une foultitude de petites barques de toute les couleurs, ballotées par les vagues, clignote de mille feux!
Ma respiration se fait courte, j’essaie de la faire marcher à l’amble du ressac, bruyant mais régulier.
Je me calme à son rythme et m’imprègne des bruits et des odeurs du moment. Odeurs de varech, de sable mouillé,de branches sauvages ou conifères, bruits d’oiseaux hurleurs, de pious-pious interrogateurs, de petits mulots invisibles mais travailleurs et de tellement d’autres choses que ma mémoire me fait défaut.
Accompagnée, j’ai la sensation que mon acuité est plus pénétrante, qu’un sentiment océanique me berce et m’entraîne.
Mon regard est attiré par une roche qui se détache, comme suspendue entre mer et nature ; étrangeté qui me rappelle les mirages du désert tunisien où l’oeil voit ce qui n’existe pas.
Puis, traversant la lande, un buisson d’églantines ne fait pas comme le premier , il ne se cache plus.
Il sourit au soleil, exhibant ses fleurs dentelées et fragiles, dans l’odeur sucrée des fougères.
En redescendant vers la ville, un arbre tortueux tente de cacher que les hommes ont eux-aussi construit des stratégies, adaptées mais moins fines. La nature disparaît, son fragile assemblage, tellement plus fantaisiste n’a plus droit de cité.
La mer au loin,laisse apercevoir et écrire quelque chose sur le franchissement Un brin de campagne et un champ apparaît, avec ce que petite, j’appelais des « fleurs de carottes »
Une petite plage timide cherche à se cacher des regards curieux des badauds, aidée de chaque côté par deux grosses roches enserrant et cachant le sable comme elles peuvent.
Des roches striées nous accueillent, érodées par l’eau, sombres et entourés par de manteaux blancs à la fois houleux et cassants.
La ballade est finie, le parking nous fait face et montre s’il est besoin, que nature et civilisation sont aussi éloignées que poésie et mathématique.
* * *
C'était l'été
Il y avait cette maisonnette où il faut l’avoir vécu pour croire que toute une famille nombreuse comme la nôtre ait pu y tenir. Les deux mois d’été, nous passions les vacances dans ce petit village breton de la côte d’émeraude
à quelques encablures de la mer.
Il n’y avait pas l’eau, il fallait aller, comme nous le disions, à la citerne, un seau de chaque côté et faire les cent mètres qui nous séparaient du puits.
Au bout du village, le soir tombant, nous allions également chacun à notre tour, chercher le lait à la petite ferme qui possédait six vaches tout au plus;L’odeur de l’étable, le meuglement des vaches, tout cela nous ravisait, car nous oubliions
notre quotidien de citadins grincheux. C’était cela l’exotisme et point besoin d’aller à l’autre bout de la terre pour le ressentir.
Avec les fermiers, certains jour de fin Août, sous un soleil écrasant, nous allions faire les foins.
C’était encore pratiqué à «l’ancienne» avec la fourche et les meules à attacher. Nous en profitions pour nous rouler dans l’herbe chaude, nos corps frôlant ces paysans originaux pour des petites parisiennes que nous étions.
Nous roulions dans l’herbe chaude, humant délicieusement cette odeur de foin sec.
Nous revenions chez os parents, de la paille dans nos cheveux et dans nos shorts, la peau brûlée par le soleil, heureuses de ces moments insolites .
Il y avait aussi la récolte des patates, le tracteur retournant la terre pur mettre à nu les tubercules et le soir, nous rentrions satisfaits, un sac de pommes de terre sur le dos et nous les offrions à nos parents comme un trésor.
Tous les jours, il y avait aussi la mer qu’il fallait mériter par une marche d’un ou deux km.
Mais nous nous arrêtions tous les deux mètres pour cueillir et surtout manger les mûres.
Barbouillés du noir des fruits, nous nous précipitions dans l’eau fraîche et tonique ; ça nous semblait être ça le bonheur.
* * *
Le franchissement
La gifle partit et sa joue s’en souvient encore.
Marina prit en hâte un ou deux sous-vêtements, son porte-monnaie, son passeport et dévala quatre à quatre l’escalier de la maison familiale.
Rageusement, elle dit à ses parents:«vous ne me reverrez jamais!»
Elle avait toujours pensé que la liberté était au-dehors, que la vraie vie était d’être avec les plus étrangers à son milieu.
Pour elle, c’était une certitude; depuis toujours, elle entendait cette litanie: «quand tu seras majeure, tu pourras partir et faire ce que tu voudras». Depuis un mois, elle avait 21 ans et ce prétexte fallacieux car les gifles pleuvaient souvent pour essayer de soumettre son esprit rebelle.
Comme elle en avait rêvé de cet instant de bascule, de ce chamboulement existentiel.
Et bien, c’était là et elle savoura à l’avance tout ce dont elle avait été privée.
Lorsqu’elle eut tourné le coin de la rue, elle raffola de cette fuite qui lui avait permise, enfin le crût-elle, de s’affranchir de tout ce qu’elle avait vécu jusqu’alors .Du Vésinet où elle habitait, elle prit le train pour Paris, persuadée qu’une fois arrivée à la capitale, son devenir serait limpide et sa vie magnifique.
Elle prit le métro à Châtelet et se dirigea vers la station Lamarck-Caulaincourt où sa meilleure amie, Gaëlle, habitait.La famille de son amie l’accueillit comme à l’accoutumée avec d’autant plus de naturel qu’ils ne connaissaient pas le cours des événements derniers.
Elle comprit très vite qu’elle ne pouvait rester sans parler du raptus qu’elle avait opéré au Vésinet.
Le Lundi matin, elle reprit donc le métro. Lamarck-Caulaincourt- Denfert-Rochereau, c’était direct; de là, elle prit l’Orlyval et arrivée à l’aéroport regarda le panneau des départs. Comme aucun vaccin supplémentaire n’était exigé pour un certain nombre de pays de l’Amérique du Sud, elle prit un vol pour Bogota. Ce nom sonnait bien à son oreille, ,il ne lui en fallut pas plus.
Arrivée sur le sol ferme après des heures de vol, un vertige la prit et en un instant, elle se sentit seule au monde, abandonnée, entourée de gens qui ne parlaient pas sa langue.
Ce qu’elle découvrit à cet instant,ce fut la fragilité affective qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant et une folle envie d’être protégée lui serra le ventre.
Comment faire? Comment être?
Ce qu’elle découvrit en elle lui parut d’une inconsistance abyssale.
Perdue, je suis perdue se dit-elle, puis elle s’évanouit.
Véronique Meneghini
Stage "Routes et chemins" Saint Lunaire