L'Atelier en ligne a été crée le 15 mars 2020, au début du confinement et l'aventure se poursuit. Vous pouvez découvrir les différents textes des participants sur le site : La Passagère on line
Aujourd'hui je vous propose de découvrir les textes de Charlotte, Diana et Valérie...
Je vais mourir
Dans la salle des urgences quasi déserte, des lumières crues. Bloc de mutisme inquiet. J’attends un diagnostic. Partout des panneaux, des recommandations, des interdictions. Sur mon siège confortable, mais rose, je croise les bras, regarde à droite, à gauche. Au plafond, des bruits de ventilation. Le chauffage doit protéger, envelopper. Des portes s’ouvrent dans un chuintement. Un infirmier passe, les yeux souriants au-dessus de son masque. Mon regard lui répond, poli, au-dessus du mien. Des masques partout. Sur les murs, en pictogramme blanc sur fond bleu. Sur la civière, en tas, cellophanés ou dépliés.
J’aimerais que tu sois là avec moi. Pour parler de tout et de rien. Mais quand je pense à la menace invisible dans les couloirs, les grilles d’aération, les surfaces blanches des éviers collectifs, je préfère te savoir chez toi.
Toi, maltraité par Gustave, ce cancer pré-nommé par déception, dérision et finalement par défi.
Toi, tes amis argentins et le désir d’une boisson fraîche à la terrasse d’un café de Buenos Aires.
Toi, ta blondeur intrépide reflétée sur la peau sombre d’une femme de Brazzaville sur le bord du fleuve Congo
Toi et ton amour indéfectible des renards, des grands paons de nuit, du romarin et des chemins de forêt.
Toi, ton mariage américain, tes lettres époustouflantes et tes souvenirs internationaux.
Toi, ta philosophie solaire, infatigable pianiste, amoureuse de l’italien, du russe, de l’anglais, du japonais et de l’arabe.
Toi, unique et multiple.
Tu ne sais pas à quel point ça va me manquer de confabuler, dénouer, construire, imaginer, palabrer et surtout ne rien se dire. Pour le plaisir. Entends-tu les bruits de mon vieux corps fatigué ? Le sang coule, charrie des miasmes, des spasmes de chaleur et m’abandonne exsangue, furieuse et terrorisée. Du sang encore dans la seringue de l’infirmière chaleureuse, professionnelle et rassurante. « Je ne trouve pas votre veine, je vais piquer ailleurs ». Là où la peau fine, innervée, se contracte sous l’attaque.
Et lui, empêché de m’accompagner. Le sais-tu, le sens-tu, toi, à quoi ont pu ressembler ces jours de parenthèse enchantée ? Pas de photos. Juste lui et moi. Lui, courbé sur la bêche. Moi, armée d’un croissant, à l’assaut des ronces jalouses du potager à venir. La lumière du printemps sur nos mains, le banc en pierres maçonné pour être juste à la hauteur de mes jambes.
Je m’y suis assise. J’ai fermé les yeux. Pour imaginer l’impossible, la liberté retrouvée, les rires, les restaurants, les passants affairés. Pour fermer les yeux. Espérer. La main de mes enfants. Une caresse légère sur ma joue. Un baiser sur le front avant de dire : « Maman ». Ah ! Ce monde sans cesse rêvé, espéré, inhabité, obstinément perfectionné.
Par le chant d'un oiseau, je suis revenu de la rêverie à la réalité. Pi-piiit, pi-piiit. Une huppe fasciée lui a répondu et puis un coucou, pas du tout à l’heure. Alors, sans attendre un monde nouveau, j’ai suivi les méandres du ruisseau. A la force de mes bras, de mes jambes, à coup de machette dans cette jungle ornaise, j’ai taillé un chemin, jour après jour sans savoir quand tout cela s’arrêterait. Fougères, lierre, jeunes frênes. Bercée par le gargouillis de l’eau sombre, sous la frondaison des aulnes.
Le voyage s’arrête, la porte des urgences va s’ouvrir. J’aurais voulu te serrer une dernière fois dans mes bras, toi qui n’aimes pas qu’on te touche. Puisque de toute manière, ces contacts mortels vont être proscrits, j’abandonne ce plaisir-là de l’amitié.
Voilà l’infirmière, vêtue de bleu. « Le médecin arrive ». Elle arrive, en vert, masque, gants, casaque, et sabots. Vert pomme ? Est-ce un bon présage ? Je pense à Camus. « Le hasard n’est à personne » écrit-il dans La Peste.
Ma chère amie, je vais mourir, mais pas tout de suite. Peut-être pas demain, non plus. Un jour, lointain je l’espère. Il est deux heures du matin, la lune éclaire la nuit comme un soleil. Le sang coule toujours. Je rentre chez moi.
Valérie W.
Le Confinement
Comme souvent c’est un changement de bruit de fond qui se fait puissant et hurle de plus en plus, même si ce qu’il assène est le silence.
Et ensuite viennent les autres sensations, le temps qui s’étire et se fait chat, les odeurs qui se désolidarisent des odeurs ambiantes, des autres odeurs, des autres ambiances, on se retrouve avec l’essentiel, toi, moi, nous.
Cela est vrai que depuis le début ce noyau sensoriel était déjà là, et c’est je crois cela qui fait que nous avons fusionné, lassés que nous étions de nous délayer dans la vie, odeurs et couleurs des autres.
Et ainsi peu à peu nous nous retrouvons au coeur du coeur de notre union.
Entourés et accompagnés du bruit assourdi des battements de nos coeurs qui malgré nous battent à l’unisson, sans concertations, sans chorégraphie et malgré nous, simplement, naturellement.
Pas de reflexions imposées sur la valeur des moments échangés, pas de bilans, pas de conclusions hâtives.
Un pas de côté, une Pavane à l’ancienne rythmée par nos souffles et nos regards, une mise au pas, à l’harmonie, au rythme de nos sentiments.
La musique nous habite plus que de coutume, la lecture aussi, et même l’écriture prend une ampleur et de l’élan.
J’aurais pu mettre à profit ces semaines pour investir le domaine où je vis, polir, reluire, ordonner et me connecter tout azimut.
J’en ai décidé autrement, je me suis laissée happer par le côté cotonneux de cette assignation à résidence surréaliste et m’en trouve bien finalement.
Ce temps nous est imparti pour une raison bien singulière, ce temps et ces plages de bien et mal être. Nous avons le choix il me semble en tout cas que je l’ai, de tout remettre en question, tout nettoyer, tout aligner et essayer de tout comprendre.
Mais non, il n’en est rien, cet espace silencieux, solitaire et possessif s’est répandu en moi et me met face à ma réalité, à celle de mes choix, à leurs conséquences;
Si je suis ici avec toi, si je reste ici avec toi ce ne sera plus par hasard, ce sera par mûre et lente décision, par maturation de sentiments, par fatalité ou bien même par la force du Destin, selon l’humeur de l’instant de réflexion fut elle lyrique, magique ou pragmatique.
Quand aurais je eu ce privilège si cette réclusion ne nous avait pas été imposée et l’aurais je eu ?
Comment aurais je pu faire abstraction des retombées ambiantes et rythmes et pulsions extérieures et me concentrer sur ma réalité, sur mon état d’être ?
Sans artifices, sans écran, sans excuses de déconcentration et sans biaiser je peux dire à moi même tu es là car tu ne pouvais choisir autre chose.
Il me prend d’avoir une pensée nostalgique sur les choix de ma vie passée, et me sens encore plus privilégiée en le faisant. Aurais je fait les mêmes choix, auraient ‘ils été confirmés par le temps si une plage de flottement dans l!intemporel leur avait été offerte ?
Plus de fausses raisons, plus de victimisation et de si j’avais pu, si j’avais su.
Descente en soi au plus profond de soi et enfin peut être sérénité et acceptation de soi même.
Cette période de distanciation et solitude est remplie de sentiments certes plus éclectiques et rares mais de sentiments dont je pense je ne voudrais pas me séparer, sauf peut être à la prochaine occasion d’introspection qui nous attend … Peut être.