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Rangement autobiographique
Raconter le foutoir dans lequel je vis depuis le confinement à l’abri des regards avec en plus de la sincérité, non.
C’est un des avantages de mon confinement : plus de regard d’autrui, liberté, créativité….
Je veux bien être sincère, mais de là à dévoiler l’intimité de mon refuge…. Donc je vais prendre la deuxième proposition : le rangement.
Un dérangement, plutôt qu’un rangement, qui était déjà présent avant, il faut bien le reconnaître mais qui s’amplifie à mesure que ma vie intérieure s’exprime et s’étale… A ma grande satisfaction. Mais bon, un rangement, ce n’est pas une mauvaise idée quand même. A un moment il faut bien élaguer, vider, jeter, classer, en un mot ranger pour donner de l’air, de l’oxygène, de l’espace.
Un ami poète avait besoin de deux haïkus sur le thème du muguet, des fragrances… Il n’y a qu’un poète pour avoir ce genre de besoin…
Cela ne m’inspirait pas du tout, j’ai laissé cette requête sans réponse. Mais au détour d’une conversation qui n’avait rien à voir :
- T’as quelque chose sur le thème ?
- Non, en mal d’inspiration
- Essaie !
J’adore ce genre de réflexion, un mot et tout est dit.
L’écriture permet tant de liberté, de contraintes qui posent les conditions, l’essor de la création quelle qu’elle soit.
Le thème ne t’inspire pas : dis le, raconte le ou mets le dans la peau d’un autre qui est inspiré ou pas… Essaie !
Ranger, redécouvrir des choses oubliées, enterrées qui donneraient des idées neuves, des points de vue différents, va savoir.
Autre écueil : impossible pour moi, de plonger dans un passé douloureux ou perdu à jamais.
Impossible pour moi de me laisser aller à la nostalgie, à la mélancolie, et pas certaine de pouvoir accepter les choses comme elles sont, de surmonter les chagrins vivaces, les joies disparues.
Trop fragile.
Alors je vais partir de l’angle du rangement en 1000 mots. Et surtout m’y mettre au rangement. Et ça c’est une autre paire de manches….
Confinement :
Situation d’une population animale Trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’oxygène, de nourriture ou d’espace. Confins : Partie extrême, limite extrême…
Là-haut, à droite de la page, ils sont serrés, entassés, contraints entre des corps étrangers, subissant les miasmes de leurs respirations, de leurs soupirs, de leurs toux, de leurs regards craintifs, agressifs, affolés… On ne peut pas desserrer les bras de son corps… On a le nez collé contre le tissu rêche et puant d’une vieille canadienne, d’un manteau élimé… En son temps, ils étaient entassés dans des wagons à bestiaux, tremblant d’inquiétude, d’effroi, de terreur… 8 chevaux… ou… plus de 120 êtres (humains) qui furent un jour des hommes…
Oui, c’était ça le confinement.
Là-haut à gauche, il y a le mot « confins », toujours au pluriel, qui est à l’origine de « confinement », quelle contradiction ! Ouvrant les espaces, laissant s’évader l’esprit vers les horizons sans fins, sans limites pour nos yeux avides d’immensités, nous ouvrant les bras de la nature, des océans, des ciels de toutes saisons… Une respiration, aux confins de notre esprit…
Chez Larousse, on parle d’animaux, mais ne sommes-nous pas des animaux, les pires que la nature ait engendrés ? Ne sommes-nous pas coupables d’avoir violé, envahi, annexé sans vergogne et en toute impunité, leurs territoires ? Avec, pour conséquences, l’héritage de leurs propres maladies, qu’en toute innocence, ils nous ont transmises. Nous les accusons, alors que nous les capturons pour notre immonde plaisir, pour les manger, pour en faire un trafic honteusement lucratif, pour satisfaire des individus habités de sordides pulsions de destruction de la nature…
Notre confinement n’est qu’une respiration frileuse, car nous avons PEUR, et à raison, de mourir dans la douleur et la solitude. Nous sommes innocents, nous n’avons pas voulu cette affreuse pandémie, je la hais moi-même, je la crains, pour moi et pour mes proches. J’accepte avec fatalité et respect mon isolement, ma solitude… Quelque part en moi il y a aussi des sentiments de culpabilité, de honte, contre lesquels je suis impuissante et en colère.
Aux confins de la planète, vit un homme extraordinaire : pour lui, le confinement n’est qu’une plaisanterie douce-amère : il sait ce que le mot « confinement » veut dire.
Alors petit garçon juif de dix ans, il a été condamné au confinement avec toute sa famille dans un appartement exigu d’un immeuble de Budapest, puis dans le ghetto, dans l’angoisse absolue de voir arriver les « Arrow-Cross », les nazis hongrois … ce qui signifiait la déportation , celle-ci, définitive…
Cet homme, je le connais… Nous avons travaillé ensemble, vécu ensemble la perte de son petit garçon de deux ans… Alors,
Alors, qu’est-ce que c’est CE confinement ?
Béatrice, 5 mai 2020
C’EST EPOUVANTABLE !
Ah ! Mes chéries, c’est épouvantable ! Mes racines font au moins deux centimètres ! Ce noir qui envahit ma tête -oui, il faut que je vous dise que je fais une teinture blonde tous les quinze jours- ça me déprime !
Et ma coiffeuse qui ne peut pas me prendre avant quinze jours – après le début du déconfinement -elle a déjà dix-neuf clientes en attente- Je n’ose plus sortir sans un foulard sur la tête, de quoi ai-je l’air ? Mes mèches pendent lamentablement comme des ficelles usées, elles sont d’une couleur pisseuse, c’est horrible !
Je n’ose plus me regarder dans la glace, c’est pas difficile, je ne me reconnais plus ! Quelle idée d’avoir fermé les coiffeurs ! Ils ne se rendent pas compte de l’impact psychologique que cela peut avoir sur nous, les femmes, si sensibles, si attachée à leur look ! Mon mari n’arrête pas de pester contre moi, il dit que je le bassine avec mes racines, « tes racines, tes racines, va donc plutôt lire celles de Romain Gary, ça te changera les idées ! ». Je n’ai pas compris de quoi il voulait parler…
Ah, c’est bien les hommes ! Lui, il n’a pas de problème de racines : il se rase la tête tous les deux jours ! Ma foi, c’est plutôt agréable à caresser, ce crâne glabre… C’est tout chaud, j’aime bien y passer ma main lorsqu’il est en train de lire sur le canapé du salon !
C’est épouvantable ! Mes ongles ne sont ni faits ni à faire ! J’ai beau essayer de les limer, ça ne va pas, j’en ai déjà cassé trois ! J’ai du tous les couper, quel crève-cœur ! Du vernis, n’en parlons pas, j’ai renoncé à m’en mettre : ça bave tout autour, sur la peau, que voulez-vous, je n’ai pas l’habitude de me faire les ongles ! Et c’est la même chose pour mes pieds : je n’en reviens pas de constater à quelle vitesse poussent les ongles, comment ça se fait ? Ah, mes séances de manucure me manquent tellement, j’ai l’impression d’être devenue une orpheline de mes soins de beauté !
C’est épouvantable, ma femme de ménage n’est pas venue depuis plus de quarante jours ! J’ai été obligée de passer l’aspirateur, je déteste ça ! Elle a refusé de se confiner avec nous. Pourtant, nous lui avons proposé de s’installer dans la chambre de nos petits enfants, et bien non, elle nous a répondu qu’elle AUSSI avait une famille qui avait besoin d’elle ! Quelle impudence, ah, aujourd’hui rien ne va plus !
C’est épouvantable, je n’ai plus rien à me mettre ! J’ai bien fait plusieurs lessives –enfin, c’est mon mari qui s’en est chargé (je ne comprends rien à la mécanique) mais mon repassage est catastrophique ! C’est surtout le pliage qui me pose problème, j’ai beau m’échiner, tout est froissé, bancal, enfin im-met-table ! Ils ont de la chance, les hommes ! Un pantalon, toujours le même, et des polos ou des pulls !
C’est épouvantable ! Quand je téléphone aux amies, elles n’arrêtent pas de se plaindre de tout et de rien ! Ça me déprime encore plus… Je crois que je vais aller lire, on m’a prêté un livre d’un certain… Camus… Ça s’appelle la Peste… Ce doit être encore une histoire de petite garce qui empoisonne le monde entier.
Béatrice
6 mai 2020