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Ecoute-moi. Je te préviens : tu ne sais rien de moi. Pourtant, tu me connais. Appelle-moi Stella Maris. Je viens d’un pays de pierres grises et de mers tourmentées où l’eau et le ciel s’épousent souvent. Te souviens-tu ? Du pouce, tu dessinais le contour du grain de beauté, là sur le haut de ma joue. D’un revers de main, balayé, mon visage émacié. Les taches de son de mon cou rougi sous tes baisers insistants. Oui, tu voulais quand je ne voulais pas. Mes cheveux blonds si fins protestent encore aujourd’hui. Sur mon crane, clairsemés, il en manque. A force de les tirer.

Au large, à présent, qui m’attend ? Personne ne semble apercevoir ces filles au rire bruyant qui m’accompagnent partout maintenant. Une sorte de rempart avant les vagues, celles de l’oubli. En été, comme en hiver, tu ne peux pas ne pas me vouloir. Tout mon corps déborde. Peu de vêtements le domptent. Seins moelleux aux tétons batailleurs, un bas du dos callipyge souligné par des jupes ultra-courtes. Sur mon ventre généreux rebondissent les clameurs marines. Je pavoise mes hanches de matière vibrionnante. Même si au creux des coudes, le souvenir d’ecchymoses sombres n’en finit pas de disparaître. Comme les marques sur mes poignets dont tes mains faisaient le tour avec l’aisance des brutes.

Je ne cesse de gratter les cicatrices cachées par de longs gants de dentelle fine. Tu me répétais doucement : « tes mains d’enfant ». Tu les retenais sans effort, je luttais quand même. Et tes ongles y sont restés imprimés en interminables histoires de résistance dérisoire.

Oubliées les écorchures ? Mes genoux se plaisent à plier et je caracole. Sur le port, à force de marcher, de long en large, les muscles de mes jambes se sont étirés. Tête fière, défi au vent permanent. Je virevolte sur mes pieds nus aux ongles roses. Revenus de loin. Du charbon noir autour de l’amande de mes yeux, je murmure un mantra d’ensorceleuse tout en épiant sur les bateaux le regard de celui qui veut. Alors, d’un mouvement du bassin très étudié, je ralentis ma course, mon regard bleu vert perdu dans l’horizon dont moi seul connais le secret.

Quand tu descends du pont sur le quai, dans un rythme lent de celui qui décide, je te laisse venir à moi. Tu me traces comme un navire avide de sa cale. Une lumière vive, venue d’on ne sait où, capte le galbe de mon joli mollet luisant. Je t’invite d’un pas nonchalant à me suivre jusqu’aux containers sombres le long de la berge. Le mystère de notre rencontre se perd derrière la porte de l’un d’eux, paradis artificiel tout de noir tendu. Le soir venu, encore sidéré par leurs attaques, dépouillé jusqu’au dernier centime, tu craches tes dernières dents sous les coups répétés des poings serrés de mes nouvelles amies. Elles ne s’arrêtent qu’à ton dernier souffle. L’une d’elles te pousse vers l’eau poisseuse entre la coque et le ponton.

Pendant que tu nourris les poissons, je demeure là, assise sur un tas de cordages, habitée du sentiment du travail accompli. La fatigue vient du ciel étoilé. Confiante, protégée, tout enveloppée d’une couverture de voiles à réparer, mon corps satisfait s’étire avant de céder au sommeil.

Au petit matin, dans mon regard clair nul ne peut lire un livre de vengeance.

Valérie Weber

 

Tag(s) : #Atelier en ligne, #Textes de participants, #Valérie W.
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