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Renversement

Lorsqu’en juillet 1961, un an avant l’Indépendance, je quittais l’Algérie par le Ville d’Alger, l’un des paquebots qui faisaient l’aller et retour entre la France et l’Algérie, je savais que c’était quitter probablement sans retour les lieux familiers où j’avais vécu jusque là.

L’émigration est un arrachement, un éloignement des couleurs, des sons, des textures et des noms de lieux connus depuis toujours qui fera que toujours ensuite il me sera difficile de me repérer, d’avoir le sentiment de connaître une ville ou une région, d’être intégrée à un environnement quel qu’il soit, même si en y vivant depuis plusieurs années. Ce départ avait créé en moi une sensation d’étrangeté que je n’ai plus perdu depuis.

Mes parents étaient prudents et nombre de leurs amis sont partis avant le 5 juillet 1962. Cependant, j’avais du mal à comprendre cette position réaliste.

J’entrais en classe de seconde au lycée Périer à Marseille et je fus bientôt prise dans le tourbillon des activités et du dynamisme de mes 15 ans. Parmi mes copines de classe, j’étais particulièrement intéressée par les discussions avec Muriel, qui était de gauche et dont le père avait connu les camps. A son contact, j’évoluais progressivement.

Mes parents fréquentaient un milieu proche de l’extrême-droite sans être eux-mêmes tellement impliqués dans le conflit entre communautés, car mon père était américain.

J’étais à l’école dans une institution religieuse, j’avais dans ma classe la fille du général Salan, l’un des quatre putschistes qui voulurent faire un coup d’Etat en avril 61. Je pensais que c’était une injustice de quitter l’Algérie.

Petit à petit, une prise de conscience s’opéra en moi. Sans m’en rendre compte, je pense que j’avais remarqué, enregistré toutes les humiliations, les vexations, les plaisanteries et le manque de respect ou le mépris vis-à-vis des Algériens, toute la violence cachée qui présidait à cette société. Cette accumulation de petits riens qui tordent la relation à l’autre pour la dégrader était restée complètement en arrière-fond de mes perceptions mais resurgissaient. Des événements qui s’enregistraient sans bruit pendant des années avaient au fond contredit et érodé mes certitudes.

Arrivée en France, je lus un livre sur Hiroshima, je vis le film d’Alain Resnais Nuit et brouillard, je compris à quel point l’Histoire avec un H est cruelle et contraire à toutes les illusions que nous pouvons nous faire. Je compris que le colonialisme était injustifiable et je perdis définitivement la foi.

Et ce fut le début de graves conflits d’incompréhension avec mes parents.

Christine L.

Tag(s) : #Innocence, #Textes des participants, #Christine L.
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