Elle est belle, la forêt de Bellême, profonde, secrète, riche de toutes ses beautés végétales et animales. Elle est l’âme et l’ange gardien de notre petite cité.
Elle est peuplée de hêtres et de de chênes immenses qui se disputent le ciel tandis que leurs troncs interminables tentent d’accrocher aux nuages des branches tentaculaires. Et quand le soleil scintille sur la dentelle de leurs feuillages, nos yeux se noient dans un camaïeu de verts hypnotique.
Cocon protecteur et fantastique, elle offre toutes ses richesses aux promeneurs.
Il faut savoir l’écouter pour la comprendre. Son silence feutré est un leurre, sans cesse, elle palpite, elle crépite et frissonne. Elle est habitée, hantée par une faune souvent invisible. Elle nous berce de ses chants d’oiseaux, du bruissement de son feuillage au souffle du vent, des gammes de la pluie sur sa voute ou du cri strident d’un geai. C’est la musique de la vie.
Il faut savoir la respirer aussi, pour la toucher au cœur. Humer ses humus, le parfum de son bois mouillé ou trop sec, ses mousses odorantes, ses senteurs animales.
Dénudée et parfois givrée l’hiver, tendre et épanouie au printemps, fraiche et délicatement ombragée durant les chaleurs estivales, c’est à l’automne qu’elle exulte quand elle sème un tapis de feuilles multicolores sur les chemins moussus.
C’est en automne justement, quand les paquets de feuilles mortes gémissent sous nos bottes que nous partons à la quête du Graal, le cèpe de Bordeaux, le seul, le vrai. Nos deux silhouettes se détachent jusqu’à se perdre dans les sous-bois pour débusquer son chapeau gonflé caché sous la végétation.
Un de ces dimanches de quête, alors que j’enjambais souches et branchages, les yeux rivés sur le sol bigarré en rêvant à une délicieuse poêlée, je fis une étrange découverte. Au pied d’un vieux chêne moussu, soigneusement disposée entre deux grosses pierres, trônait une photo instantanée défraichie, comme dans un mausolée. C’était un cliché un peu flou, de mauvaise qualité, mais le papier était à peine humide. On distinguait encore nettement en premier plan un homme vêtu d’un burnous assis sur une souche moussue, un jeune enfant blotti sur ses genoux. Derrière eux deux adolescents basanés souriaient à l’objectif. Au fond, presque dissimulée, une femme voilée de noir lançait au photographe un regard infiniment triste et pensif. L’instantané d’une famille arrêtée un instant au cœur de notre forêt, peut-être au terme d’un long voyage, qui a choisi de laisser ce témoignage de son passage sous un arbre séculaire, comme une offrande ou une prière.
Bien sûr, nous avons respectueusement laissé sur place cet étrange sanctuaire mais depuis il m’arrive souvent de penser à cette femme déracinée et à son regard infiniment nostalgique.
Corinne L.N.