Saisis et vis pleinement l’instant de joie, de bonheur ; apprends à faire face à la douleur, la peine, le chagrin. Endure, mais trouve une échappatoire. Fixe-toi des objectifs tangibles dont tu verras le résultat. Cela t’aidera à supporter la vie sur cette planète que tu aimes tant, alors même qu’elle devient imprévisible. Traumatisée par une pandémie meurtrière, bouleversée par les inondations, les incendies, les sécheresses, ensanglantée par les carnages sans merci de guerres fratricides et injustifiables, cette planète semble prête à chavirer. Prisonniers de leurs illusions, les hommes n’ont-ils pas perçu que la poursuite effrénée de chimères, de « toujours plus » était un miroir aux alouettes, un leurre conduisant aux catastrophes apocalyptiques ?
Il y a quelques jours, le soleil de l’après-midi chauffait agréablement ton dos lorsque tu étais assise sur le gravier de la terrasse envahie d’herbes folles, toujours les premières à montrer leur nez. Tu arrachais les mauvaises herbes, un labeur contraignant qui pourtant te tranquillise car tu anticipes le résultat, qui sera concret. Très vite, ton esprit libéré vagabonde, il prend son envol.
Tout d’abord tu songes que cette herbe que tu arraches en ce moment précis n’est « mauvaise » que parce qu’elle est là où « on » n’a pas souhaité qu’elle pousse, ce qui est parfaitement arbitraire en définitive… De quel droit a-t-il été décidé que telle herbe était mauvaise ? Pourquoi mauvaise ? Et pour qui ? N’est-ce pas une décision unilatérale, dictatoriale ? Dictatoriale comme l’attitude de certains hommes politiques du monde actuel ? Les voici avec leur cortège de folies inqualifiables, écrasant les plus faibles de leurs caprices sans limites, irresponsables, régnant par la terreur sur le monde entier qu’ils ébranlent sans vergogne.
Enoncer ce point de vue très personnel te fait prendre conscience de la nécessité d’échanger avec autrui pour étayer ton raisonnement, pour le construire parfois. Tu ne prétends pas détenir la seule et unique vérité. C’est par la lecture, la conversation, la confrontation d’idées que l’on stimule son cerveau, que l’on progresse. Toi, tu penses que l’homme est un être social. De tous temps, il a eu besoin des autres pour chasser l’auroch, pour se chauffer, pour vivre enfin. Pour franchir un mur, il faut être deux pour se faire la courte-échelle, n’est-ce pas ? Du contact avec l’autre naît l’expérience, même si on aime à dire que l’expérience ne vaut que parce qu’elle est vécue…
On recherche les bienfaits d’une salvatrice solitude pour réfléchir, se recentrer, pour retrouver son identité profonde, mais, sous peine de devenir un isolement stérile et frustrant, la solitude n’est bonne que si elle est un tremplin vers autre chose, une décision, vers une action, qu’il s’agisse d’écrire un livre ou de concevoir un avion de chasse. L’isolement peut devenir improductif, néfaste même, source de rancœurs, de malentendus. Pour toi, l’apport d’autrui est nécessaire à chacun.
Mais il est tout aussi clair que l’autre est différent de toi. Tu as très peu de chances de le façonner à ton goût ! Il faudra l’accepter, tel qu’il est. De même tu n’apprécieras pas toujours les circonstances de l’existence ; ne te fais pas d’illusion, tu ne pèses pas bien lourd face aux évènements… Eux aussi, comme les dictateurs, ils t’écraseront si tu ne composes pas avec eux. C’est une question de survie pour toi : porte sur eux un regard neuf, différent de celui que tu portais précédemment ; peut-être t’ouvriront-ils de nouveaux horizons, qu’en sais-tu ? Tu dois prendre le risque d’admettre la différence, de la regarder bien en face, avec objectivité. La mauvaise herbe sur laquelle tu t’acharnes ne fait pas autrement. Elle s’est adaptée au sol aride d’une terrasse pour vivre. Elle repoussera paisiblement dès ton départ, ses racines sont profondément enfouies dans le sol, ses spores sont déjà dispersées par le vent, et vois comme elle tente de te séduire en faisant frémir ses minuscules et délicates fleurs d’un bleu pastel. Elle tente de déclencher une émotion chez toi.
Elle a raison, cette petite plante de rien du tout, tu le sais. En l’absence de tout sentiment, de toute émotion, la vie te semble désenchantée. Elle est terne et sans saveur aucune. S’adapter aux vents contraires ne signifie pas abdiquer passivement. Tu le sais, toi qui gardes le nécessaire sens de l’émerveillement devant la beauté d’un coucher de soleil, toi qui te laisses pénétrer par la musique classique, par les mélodies virevoltantes ou paisibles du piano, toi quoi regardes jusqu’à t’en imprégner comme un buvard les enluminures des livres d’heures ou les tableaux les plus contemporains, toi qui cherches dans le marbre travaillé, aux contours arrondis, l’émotion transmise par le sculpteur.
Savoir regarder la réalité telle qu’elle est, t’y adapter en gardant intacte ta capacité à t’émouvoir, en t’appuyant sur l’émerveillement, cette qualité essentielle d’une éternelle jeunesse : voici le bagage que tu pourrais conseiller à celui qui aura la sagesse de tenter de vivre en harmonie avec l’univers et avec lui-même.
Ecoute la sagesse des herbes folles.
Fredaine