Il est 8h, je tire les rideaux de ma chambre d’un geste lent. Je ressens une appréhension : sera-t-elle à sa fenêtre à cette heure matinale ? Elle, ma voisine d’en face.
Je suis presque déçue et je m’en étonne. La fenêtre de son salon située au premier étage d’où elle a l’habitude de guetter les moindres mouvements de vie de notre rue, les faits et gestes de chacun, se trouve encore dans l’obscurité.
Pourtant, je l’imaginais : sa silhouette mince, les épaules légèrement voûtées d’une femme déjà âgée. Son visage est blême, placide, ses yeux sont souvent plissés et scrutateurs. Sa bouche fine est pincée. Elle arbore des cheveux courts, blanchis par les années, décolorés par les vicissitudes de sa vie. Du moins, je l’imagine ainsi.
Je m’étonne de ressentir cette pointe de déception : oui, la déception qu’elle ne soit pas là, derrière sa fenêtre, à son poste habituel d’où elle me guette souvent, m’observe et se nourrit de ma vie et de mes habitudes.
Cette femme seule qui pourrait avoir l’âge de ma mère, est ma vigie. Parfois, elle tente de m’observer de sa fenêtre fermée. Elle choisit alors de se dissimuler derrière les rideaux, toujours à la fenêtre du premier étage, celle de gauche. Il est rare qu’elle choisisse de scruter les mouvements du bourg où nous résidons toutes les deux, depuis l’autre croisée située à droite de son domicile.
Souvent, aimantée par les bruits du dehors, elle cherche parfois un point d’observation plus propice à sa curiosité maladive : elle ouvre alors les battants de sa fenêtre et penche son buste très légèrement vers l’extérieur, tournant sa tête à gauche puis à droite afin de saisir complètement le panorama. Elle espère capter un visage ou un regard et alors nos regards se croisent. Comme à mon habitude ou plutôt quand je le décide, je prends l’initiative de la saluer d’un « bonjour Gisèle » ! J’accompagne mes salutations d’un sourire avec un geste de ma main gauche pour m’assurer, que si elle ne m’a pas entendue, elle m’ait au moins bien vue.
Françoise JB