Alexia, Angéla, Jude, Laura, un certain Jacques Kermski... sans oublier Madame Sand à Mortagne-au Perche
Matin d’automne. Depuis la fenêtre de la cuisine, Alexia contemple la rosée sur les pommiers, sur les touffes d’herbe irisées de soleil. Trop beau pour les confitures. Elle retire son tablier, court à la salle de bain, lisse ses cheveux, coince une mèche rebelle derrière son oreille, relève ses pommettes trop pâles de blush cuivré, pince ses lèvres sur le tube de baume gras, enfin esquisse un sourire vers son reflet qu’elle juge convenable. Elle attrape les clés, son sac avachi sur la console de l’entrée, claque la porte, hume l’air frais qui embaume les feuilles et les pommes oubliées, démarre la vieille Clio et met le cap sur Mortagne.
Un café au Bar du théâtre, excellent pour son moral chancelant, au courrier ce matin, une lettre de son ex lui a signifié qu’il mettrait fin à la pension alimentaire fin décembre, pas de quoi rire…
Assise en terrasse, elle applique sa bonne vieille méthode-sourire- Il fait doux contre le mur baigné de soleil, le café fume dans la tasse, quelques consommateurs feuillettent le journal, d’autres consultent leur smartphone. Leur présence tranquille lui fait du bien.
Elle se plonge dans le dernier polar de son amie Sarah. Son café avalé elle s’apprête à en commander un second quand un bruit sec et fracassant lui fait bondir le cœur, à quelques pas sur la chaussée deux véhicules viennent d’entrer en collision. Passé un bref moment de stupeur, les deux conducteurs sortent indemnes de leurs voitures grimaçantes.
Alexia observe à l’abri de ses verres fumés le sourcil froncé et l’œil courroucé de l’homme, l’air égaré de la femme bégayant « je suis désolée, désolée… »
Cette épaisse chevelure, le profil de médaille, la silhouette parfaite sanglée dans un tailleur pantalon beige, elle les reconnaît sans hésiter, la créature qui a ensorcelé Jean Louis il y a 10 ans. Elle relève son livre devant son visage, et un peu tremblante suit les évènements avec intérêt. L’homme fou de rage vocifère, pointe du doigt la calandre enfoncée de son Audi rutilante, l’autre statufiée se confond en excuses bredouillantes tandis qu’Alexia sent monter doucement une onde chaude de bien-être qui traverse tout son corps.
Sa revanche elle la tient, sous ses yeux, « La rivale » humiliée, défaite en plein cœur de Mortagne. Petite victoire, grand soulagement.
Alexia en a assez vu et entendu, elle règle son café et repart le cœur léger, léger, léger…
Dans sa guimbarde crachotante un fou rire irrésistible la prend et lui tire des larmes de joie - retrouvée.
Aline L.
Angéla
Angela est en vacances à Mortagne-au-Perche avec son mari Paulo et ses deux enfants. Ils viennent de Bologne et aiment la vie et la bonne cuisine. Ils veulent goûter la cuisine française, mais ne savent pas très bien où ils peuvent aller manger. Ils sont installés à une table à l’extérieur d’un café, au soleil, et discutent. Un couple s’assied à la table à côté d’eux et commence à parler des restaurants des environs.Aussitôt, Angela et Paulo, qui comprennent et parlent le français, tendent l’oreille. Paulo sort un carnet et un crayon et prend des notes. Alors, Angela, plus spontanée, s’adresse au couple et leur explique leur souhait et leur méconnaissance des lieux.
Le couple, sympathique, leur propose de se joindre à eux pour aller au restaurant « A la ferme ».
Angela est ravie, Paulo plus réservé. Les deux enfants suivent sans mot dire. Et c’est ainsi que se noua une amitié franco-italienne, qui devait durer toute la vie. Les rencontres les plus simples et les plus inattendues sont parfois les plus fructueuses, celles qui durent le plus.
Christine L.
Jude
Jude se dirigea vers la place de Mortagne. Il avait rendez-vous avec son copain Maxime.
De la Seine et Marne où il habitait, le changement de lieu lui paraissait intéressant car il s’ennuyait ferme entre son père, cadre commercial , peu présent à la maison alors qu’il aurait aimé partager des discussions avec lui, et sa mère, possessive, toujours en train de le suivre à la trace et à s’angoisser sur son adolescence difficile. Alors, aller en vacances chez sa grand-mère, permissive et rieuse ne pouvait que le réjouir. Jamais elle ne rentrait dans sa chambre à l’improviste, ce que faisait sa mère sans arrêt !
Elle habitait une jolie demeure à la limite du village. Quand il eu prévenu sa grand-mère qu’il avait rendez-vous à Mortagne avec Maxime, elle lui prépara un sandwich à la hâte et lui sourit en lui glissant un petit billet dans la poche de son duffle-coat et en l’embrassant.
Il était d’humeur morose, comme à son habitude, gêné par son physique balourd, sa grosse bouche et ses cheveux crépus, héritage de sa mère haïtienne.
Maxime lui convenait car il était étrange, un visage très blanc, des cheveux blonds et un regard transperçant.
Autant lui-même était renfermé, autant Maxime était extraverti, un peu violent, toujours prêt à en découdre. Voilà ce qui lui plaisait à Jude, un copain qui ose. Qui ose s’affirmer, se montrer, bref, l’inverse de ce qui le représentait. Assis sur les marches du café de la place, il ,alluma un joint en attendant Maxime. Depuis quelques temps, il savait parfaitement se les rouler et appréciait le changement d’humeur qu’il ressentait après en avoir fumé deux ou trois.
Son pote était en retard comme d’habitude et il se laissa aller à ses errances d’adolescent, peuplées de filles splendides et délurées qui l’embrassaient à bouche que veux-tu. Lorsque la fille du bar sortit, il se prit pour un Don Juan et commença à lui parler grivoisement.
Arrivé à sa hauteur, elle lui administra une gifle qui, malgré sa peau foncée donna à ,sa joue une couleur violette.
Heureusement pour lui, elle passa son chemin et Maxime arriva, fringant et altier.
Véronique M.
Laura
Il fait beau aujourd’hui à Mortagne. L’été indien n’en finit pas de s’étirer dans le temps. La petite place est baignée de soleil et la terrasse du café du Théâtre est pleine de monde. Ce sont les vacances de la Toussaint et les gens profitent de cette dernière douceur en prenant dehors un petit café ou une bière. Ils ont l’air détendu et bien décidés à profiter de l’instant présent.
Laura débouche sur la place le cœur léger. Elle est en vacances chez sa vieille amie d’enfance. Toujours aussi mince et élancée, ses cheveux roux et bouclés encadrent son visage resté très jeune malgré ses 60 ans, ses taches de rousseur lui donnent vraiment un air juvénile. Elle ne passe pas inaperçue, tout le monde la regarde ; son jean serré épouse la forme de ses hanches parfaites et son gros pull vert pomme fait ressortir ses boucles rousses. Elle s’installe à la seule table libre qui reste, en plein soleil. Elle se sent bien et regarde autour d’elle, il y a beaucoup de jeunes. Elle commande un café serré avec un verre d’eau. Elle sort une cigarette blonde de son paquet et cherche son briquet enfoui au fond de son grand sac et ne le trouve pas. Un homme, assis à la table voisine, lui propose très gentiment du feu. Elle ne l’avait pas remarqué, il était caché derrière son journal. Elle le remercie vivement, et leurs regards se croisent….et cet instant prend aussitôt une autre dimension.
Ils se reconnaissent et pourtant ils ne s’étaient jamais vus !
Ce sont les mystères de l’existence et des rencontres imprévues.
Pascale G.
Un certain Jacques Kermski
Attablé devant son café, Jacques tournait pensivement sa cuillère dans la tasse.
Il n’avait pas conscience que ce manège durait déjà depuis un bon quart d’heure, et que le café était tristement froid.
Que lui voulait Liliane ?
Pourquoi, après quarante et un an de divorce, souhaitait-elle le rencontrer ?
Ce n’était pas clair…
Ils étaient passés par toutes les phases du désenchantement conjugal.
Les larmes, les cris, le silence haineux, le mutisme résigné, le désespoir, puis la haine débridée qui leur avait fait utiliser leurs deux malheureux enfants comme intermédiaires d’abord, comme moyen de pression ensuite.
A cette pensée, Jacques eut une grimace navrée, non exempte de culpabilité.
Et aussi une pointe de ressentiment envers Liliane.
« J’aurais dû lui inculquer le respect et l’empathie à coup de roulette dentaire » murmura-t-il dans un petit rire mi figue-mi raisin.
Sa pensée flotta de nouveau jusqu’à leurs enfants.
Leurs si beaux, si joyeux enfants qui étaient devenus de petits personnages inquiets, affabulateurs et manipulateurs avant qu’eux-mêmes, les parents soi-disant adultes, ne s’en aperçoivent.
Ensuite, il était trop tard, le mal était fait et ils n’étaient pas parvenus à s’entendre ni à se faire crédit, même pour le bien de Laure et Benjamin, que pourtant ils aimaient aussi passionnément l’un que l’autre.
Heureusement, d’un commun accord en début d’adolescence, Laure et Benjamin avaient exigé d’être envoyés en internat, se refusant à choisir entre leurs deux géniteurs.
C’est ainsi qu’ils avaient sauvé leur peau, ayant d’emblée compris qu’ils ne pourraient grandir que dans un environnement dénué de passion.
- Comme ils ont bien fait ! Ils sont si intelligents, l’un et l’autre… pensa Jacques en relevant le regard.
C’est alors qu’il la vit. Liliane. Liliane qui le cherchait des yeux et qui vint maladroitement s’asseoir en face de lui.
La voyant là, il la dévisagea, s’apercevant avec indifférence qu’il ne ressentait plus rien pour elle. Rien. Elle n’avait pas plus d’importance que le panneau « zone bleue » ou la vitrine de l’agence immobilière.
Liliane. Une vieille dame comme tant d’autres, avec un dentier. Fort mal fait, le dentier.
Le métier se perdait.
Il ne pouvait s’empêcher de fixer la bouche au sourire d’une blancheur aussi étincelante qu’incongrue.
-Tu vois, Jacques, finalement, euh… c’est bête à dire, mais….au bout de tout ce temps, tu vois… euh, j’ai pensé qu’on pourrait peut-être… oui, tu vois, finalement tu es le seul qui ait compté pour moi.
Les yeux de Jacques s’écarquillèrent lorsque, bien malgré lui, il s’étrangla et que la gorgée de café froid aspergea tout sur son passage.
Séverine L.
Madame Sand ? Dans l’escalier !
La médiathèque de Mortagne-au-Perche vient d’ouvrir ce vendredi après-midi. Mélanie paresse encore un peu devant le café qui termine le déjeuner qu’elle a pris solitairement à La Brasserie ; il fait tellement beau aujourd’hui ! Elle adore l’interminable été indien de cet automne 2017. Il lui rappelle son enfance au Canada, avec ses parents.
Hier soir elle a écouté le pianiste Christophe Maynard interpréter plusieurs œuvres de Chopin dont il développait la vie en même temps. Elle vient à la médiathèque pour tenter de trouver un échange de courrier entre Chopin et George Sand ou,au moins,un texte qui lui permettrait de comprendre la nature profonde de leur relation. Elle apprécie l’un et l’autre séparément et les étincelles que leur rencontre a provoquées l’intéressent, elle veut approfondir.
Elle tire la lourde porte de ce paradis culturel mortagnais.
Las ! Au pied de l’escalier à double volutes qui monte à la salle de cinéma, voici que tout un carton de livres s’est renversé. Le carton de la dernière livraison tant attendue… Tous les ouvrages sont éparpillés, certains se sont ouverts mettant les pages en danger. Une jeune femme, les joues en feu, essaie de réparer le désastre mais une ribambelle de gamins encore en vacances scolaires feint de l’aider. C’est-à-dire qu’ils remplissent le carton à la va-vite en s’esclaffant puis, d’un geste volontairement maladroit, ils le renversent à nouveau en pouffant de rire. Et ainsi de suite.
Mélanie, indignée, use de sa haute stature pour gronder les garnements. L’essaim de vauriens disparaît aussi vite qu’il était arrivé. Elle enjambe le carton éventré, elle lui redonne forme puis aide la malheureuse assistante à ranger les ouvrages par ordre alphabétique d’auteurs. Oh, quel bonheur ! Elle retrouve des livres qui l’enchantent, qu’elle a déjà lus : elle reconnaît les découvertes de Copernic, les progrès de l’astrophysique qui pour le moment, par le hasard des noms d’auteurs, côtoient Plic et Ploc qu’elle connaît par cœur. Et – miracle !- voici Sand, George : Histoire de ma vie. « Je vais probablement trouver les états d’âme de mes prodiges là-dedans, songe-t-elle, et un tour au rayon des CD me permettra de choisir un Nocturne majestueux ou une valse tourbillonnante pour accompagner ma lecture.
En tout cas, je ne pensais pas croiser George Sand dans l’escalier ! »
Fredaine