Bruits …
Bruit des marches qui craquent sous le poids léger du chaton descendant l’escalier.
Roucoulement dans mon oreille par sa sœur, qui voudrait bien que je me réveille.
Soupir du vieux chien, ramené à cette réalité dérangeante, la présence de deux chats dans la maison.
Pas de bruit lorsque j’ouvre les yeux, résignée à me réveiller enfin.
Au-dehors, le vent qui souffle dans les arbustes du jardin et le cri assourdi du coq, réfugié dans son abri.
Le bruit insistant de la pluie, atténué par le double vitrage, jusqu’à n’être plus qu’un chuintement, une berceuse.
Grincement du portillon du jardin : ma voisine, malgré la pluie, est déjà à l’œuvre.
Quelques coups dans l’abreuvoir en zinc, l’eau des chevaux ne doit pas être à leur goût.
Un roulement qui s’éloigne, et les voilà galopant jusqu’à l’autre bout du pré : c’est le grondement d’une moto dans le sentier qui les a fait fuir.
Silences….
Le silence, quel silence ?
Celui où l’on est seule, où rien ni personne n’habite votre espace.
Le silence des soirs de panne d’électricité, où les déclics ne sont pas suivis d’effet : pas de télévision parlant pour ne rien dire, pas de grésillement du réfrigérateur, rien…
Seulement celui des acouphènes qui ne vous laissent jamais de répit, vous laissant ignorer ce qu’est une vie sans bruit.
Le silence de la flamme des bougies, le silence chantant de la nuit.
Le silence du matin dans l’attente du premier chant d’oiseau.
Le silence du premier matin de neige….
Le silence d’après l’orage, quand les gouttes de pluie roulent une à une et de feuille en feuille, pour enfin attendre sans bruit le sol. Quand le ciel soudain parait plus grand, plus profond, plus beau.
Le frottement de la main sur une manche, bruissement ténu de l’étoffe sur la peau : ce n’est pas le silence.
Le silence apaisant d’une balade en forêt, empli du mouvement des fourrés, des bruits de pas sur les feuilles mortes… ce n’est pas le silence.
Celui de l’étang sous un soleil joyeux, à l’ombre des pins et des chênes. Silence, vraiment ?
Silence hostile de qui se sent agressé.
Silence pudique de qui ne veut rien dire.
Silence désabusé de qui n’attend plus rien.
Tendre silence du câlin enfantin.
Silence du papillon se posant sur une fleur….
Taisons-nous et retenons notre souffle. Chuttt….
Bruits nocturnes
C’était dans le grenier.
Le grenier dont la trappe était dans la salle de bains, juste au-dessus de la baignoire sabot.
Qui, d’ailleurs, a jamais réussi à se détendre dans une baignoire sabot ?
Ça commençait toujours par des glissements, des chuintements, des souffles. Parfois quelques trottinements plus ou moins accentués, voire des pas pesants, des coups sourds.
Prémices….
Prémices à l’horreur qui allait suivre dès que la nuit serait tombée, ce qui, bien sûr, ne manquerait pas d’arriver.
Frottements, glissements, gratouillements….
Je savais parfaitement de quoi il s’agissait, haussant les épaules avec fatalisme.
« Ils sont encore là. Décidément, je devrais boucher ce trou dans le grenier. »
Tout allait bien. Ma fille avait dîné, et passées les interminables tractations pour retarder l’heure du coucher, elle dormait enfin, paisible, un petit sourire tendre sur son visage d’ange.
Je pouvais moi aussi aller me coucher, le poêle à charbon chaufferait jusqu’au matin, la vaisselle égouttait, les modèles d’écriture des C.P. tenaient un impeccable garde à vous.
Je pouvais envisager sérieusement de dormir quelques heures, à défaut d’une nuit complète.
Seulement voilà, c’était compter sans eux.
Eux que j’adorais le jour, que je haïssais la nuit.
La nuit où sans crier gare, s’élevaient des cris, des hurlements à faire froid dans le dos.
La première fois que j’entendis ces cris au-dessus de ma tête, je me précipitai au bas de mon lit au risque de tomber de la mezzanine, me ruant sur le téléphone.
- Allo, police…non, ce n’était pas possible, mon imagination me jouait des tours.
D’ailleurs je n’entendais plus rien.
Mais pourtant, ces hurlements stridents, ces sanglots se terminant par des cris aigus ?
Et voilà que ça recommence !!!
Un bébé ! On égorgeait un bébé ! Quelque part. Pas loin…
Je me ruais dans la chambre de Claire, le cœur comme une grosse caisse participant au concert ambiant.
Mon bébé était là, tétant dans son sommeil, une légère goutte de salive perlant au coin de ses lèvres en bouton de rose.
Rien. Elle n’avait rien…
D’ailleurs les bruits avaient cessé, après une cavalcade insensée suivie d’une dernière exclamation rauque.
Mon cœur reprenait sa place, renonçant à s’enfuir.
Une caresse sur la joue de ma fille, et je retournais me coucher.
A peine arrivée dans mon lit, les hurlements recommençaient.
Des cris rauques, des vocalises suraigües, des cris de détresse à rompre les cordes vocales, et par-dessus tout ces sanglots et ces hurlement s de peur d’un bébé en proie à une détresse sans nom.
Et cela quatre fois par an, quand les chats du voisin, qui avaient élu domicile dans mon grenier, fêtaient la saison des amours….
Séverine L.