J'ai toujours connu ma grand-mère seule.
A l'âge de 6 ans je lui ai demandé si elle n'avait pas eu un mari. D'abord, elle est restée silencieuse et ses yeux ont pris une autre couleur. Le gris virait au vert.
Elle m'a prise par la main, m'a emmenée devant son petit secrétaire, celui que j’avais parfois la permission d’utiliser, le temps de faire un dessin, mais à condition de ne toucher à rien.
Elle ouvre un tiroir et sort quelque chose qu'elle tient caché dans sa main. Nous nous sommes installées au salon, dans ces fauteuils où nous passons souvent le temps ensemble quand elle m’accueille après l'école.
"Regarde" dit-elle, en ouvrant la main. J'aperçois un petit objet rond de la taille d'une monnaie du pape, petit fruit rond et délicat. C'est en métal un peu jaune et j'apprends que c'est du laiton. Au milieu, un peu décentrée est posée une petite pierre rouge qui se met à scintiller quand on bouge l'objet. Il est rattaché à une fine chaîne en or. Sur le côté se trouve un petit crochet.
"C'est un médaillon, vois-tu, et si tu appuies sur ce petit fermoir sur le côté tu peux l'ouvrir".
Mes petites mains impatientes et maladroites, ont du mal à ouvrir le bijou, mais je finis par y arriver sans le casser. Devant mes yeux, j'ai deux hémisphères avec de petits verres de protection.
Celui de gauche attire mon attention en premier. C'est une photo d'un homme que je ne connais pas. Il porte un uniforme avec beaucoup de boutons, il sourit et semble heureux.
Celui de droite contient quelque chose que je n'identifie pas tout de suite, des filaments d'une couleur foncée. J'apprends que c'est une mèche de cheveux, mieux encore : c'est une boucle de cheveux.
Vous l'avez deviné, c'étaient la photo et une mèche de cheveux de mon grand-père.
Ce sourire et cette mèche, c'est tout ce qui restait à ma grand-mère de son amour d'antan. Et moi, je découvre que j'avais un grand-père!
Ils avaient tous les deux 20 ans au moment où ma grand-mère recevait ce gage d'amour de son fiancé, la veille de son départ à la guerre. Il n'en est pas revenu, frappé à mort par un obus, 3 semaines avant l'armistice.
J'ai gardé longtemps le médaillon du grand-père inconnu et il n'a pas eu un meilleur sort que son donateur. Il m'a été volé un jour, lors du cambriolage de mon appartement.
Aujourd’hui, bien qu'il ne soit plus là, je revois encore le sourire de cet homme jeune, confiant et heureux. Je me souviens de la douceur du médaillon au toucher, la petite bosse sous mon doigt à l'endroit de la pierre.
Je n'ai plus cet objet qui fut pour moi un trésor, mais j'ai eu un autre cadeau: ma fille est née le même jour que ce grand-père inconnu. Nos pensées vont vers lui chaque année le 28 février.
Ute A.