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Automne lugubre. Dans le brouillard persistant, les arbres se dépouillent encore et encore. La brume ouatée étouffe les sons, disperse d’infimes gouttelettes invisibles qui collent à la peau, alourdissent les cheveux. L’homme est seul. Plongé dans ses pensées, des pensées aussi moroses que la nature autour de lui, il marche dans le sous-bois spongieux. L’humidité s’acharne sur ses épaules, perle et glisse sur le ciré, s’immisce en bas des manches, enlace les poignets. Vraiment il n’aime pas cette saison qui marque une fin. Il ne se promène pas, il marche sans but véritable, par hygiène, sans joie. Il marche parce que c’est bon pour la santé dit-on. Désœuvré, il foule l’océan des feuilles mortes tombées au sol. Détrempées elles ne crissent même pas ; il ne peut pas les chasser devant lui en riant, les faire voler en l’air dans le soleil encore doux de l’automne comme dans le souvenir de son enfance. Aujourd’hui la nature détrempée est indifférente, presque hostile pour les hommes. Les branches décharnées sont noires, les feuilles au sol d’un brun sombre, et le ciel couleur de plomb. Inutile d’espérer la moindre éclaircie.
A l’unisson de cette sinistre mi-journée d’automne qui lui semble longue, si longue, il écoute l’épais silence qui l’enveloppe. Rien, rien sinon le lointain aboiement d’un chien, aucun ronronnement de tracteur, pas un bruit non plus de la route pourtant peu éloignée qu’il peut deviner à travers les arbres dégarnis. Aucune voiture ne passe. Est-il donc seul sur cette planète ?
Lorsque le jour commence à baisser, il prend le chemin de lisière du bois pour rentrer chez lui et machinalement regarde, de l’autre côté de la haie, le champ qu’il longe maintenant.
Il le connaît par cœur ce champ. Soudain quelque chose attire son attention ; cette bande noirâtre là, en plein milieu, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas de la terre, ni de la végétation… Abritant ses yeux de la bruine qui a repris, il regarde plus attentivement. Des chevreuils ? Non, c’est trop massif, trop bas sur le sol. Il n’a pas pris ses jumelles, mais il veut savoir. Immobile sur le chemin, il scrute le brouillard. La bande noirâtre s’étire, se détend, des silhouettes prennent corps, se détachent peu à peu, noires sur le fond brumeux. Mais oui, c’est…il ne se trompe pas, ce sont des sangliers ! Il n’est pas fou, une quinzaine de sangliers ! Et maintenant une sorte de grognement parvient jusqu’à lui. Il y a probablement plusieurs compagnies rassemblées dans cette prairie, à cent mètres de lui. Quelle magnifique rencontre ! Une joie profonde l’envahit. Bien entendu il a déjà vu des sangliers, mais dans un contexte tout autre, l’animal chassé franchissant les sentiers d’un bond pour éviter la meute des chiens lancés à sa poursuite. Ou bien couché sur le côté, mort déjà. Mais voir juste devant lui une compagnie vaquant paisiblement à ses occupations l’émeut bien davantage. Il a le sentiment de pénétrer dans l’intimité du groupe… au risque même d’être indiscret. Adieu la morosité, les idées sombres. Pleinement heureux, il contemplerait sans fin ces animaux affairés à retourner la terre comme ils aiment à le faire pour se nourrir, se déplaçant sans hâte, au fur et à mesure de leurs découvertes. Tout à sa rencontre, il vit pleinement ces instants de bonheur simple qui lui semblent magiques, des moments privilégiés de symbiose avec la nature, suspendus hors du temps, au-delà de tout tracas.
Il sait que dans le voisinage on parle cette année des dégâts considérables causés par les sangliers qui ravagent les cultures, D’ailleurs lui-même a bien relevé de nombreuses empreintes dans le bois qu’il parcourt aujourd’hui. Il a aussi constaté le passage de ces animaux dans le verger dont la terre, labourée par eux, meurtrie, garde des traces profondes.
Pour le moment, il ne pense pas à tout cela. Il a retrouvé son bel optimisme, son goût pour une vie proche de la nature, la vie qu’il a décidé de mener au cœur de cette campagne profonde.
Fredaine ❑
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