Claude Labouthière avait épousé Juliette Capron.
Capron, c’est simple.
Ils étaient sûrement, à l’origine, éleveurs de chèvres.
Ou alors têtus comme des chèvres.
Ou bien un lointain ancêtre grimpait et sautait comme un cabri.
Possible, vu que mon père n’adorait rien tant que grimper aux arbres et faire de la varappe.
Mais ses copains l’avaient surnommé « l’écureuil ». Tant pis.
« Gardeur » de chèvres ? Je ne sais pas trop.
L’arrière grand-père Onésyme Capron était équarisseur aux abattoirs de la Villette, en plein Paris. Il parlait le louchebem*.
Ma grand-mère Juliette, sa fille, jouait avec sa grande sœur sur les trottoirs de Paris et faisait naviguer des petits bateaux de papier dans le caniveau, qui charriait tantôt de l’eau propre et limpide, tantôt du sang.
Parfois, pour rire, elle crachait dans l’eau de l’écluse ou y jetait ses bateaux, s’esclaffant de les voir grimper, descendre, tomber sur le flanc puis couler.
S’ils se remplissaient d’eau d’emblée, la partie était perdue.
Quand son père lui donnait trois sous, elle allait s’acheter chez le charcutier pour trois sous de mayonnaise et de cornichons, ce qui constituait son repas.
Lorsqu’elle fut grande, c’est-à-dire dès qu’elle eut 14 ans, elle entra à l’usine, mais il n’y avait pas de chèvres.
Claude Labouthière, lui, était issu d’une famille de journaliers agricoles.
Ils étaient pauvres et il y avait 11 enfants.
L’arrière grand-père, dont je n’ai jamais su le prénom, mangeait en bout de table, un long bâton posé à côté de lui, sa femme debout derrière sa chaise, prête à le servir au moindre coup d’œil.
Si un enfant parlait ou relevait la tête de son assiette, il prenait un coup de trique « pour lui apprendre les bonnes manières ».
Dans ce village de Lusy, dans la Nièvre, la terre était ingrate et rude. Le braconnage et la glane aidaient à nourrir les enfants. Mais il y avait une rue Labouthière.
A quelques kilomètres il y avait un village qui portait ce nom, construit autour d’un château de Labouthière, château entouré de remparts.
Apparemment il avait appartenu à quelque hobereau, aussi pauvre que ses sujets. La tante Louise, qui y fut placée dès ses 8 ans, jusqu’à sa mort l’appela « Not’Mait ».
En tout cas, il y eut seigneur de Labouthière et cela me suffit, petite fille, pour rêver de mon glorieux passé de princesse, et alimenter ma tendresse pour les chevaux princiers.
La rue Labouthière, à Lusy ?
Ah oui ! Un quidam un jour se présenta à des élections cantonales et promit à son ami de lui dédier une rue s’il votait pour lui.
Il fut élu.
Quand il eu 12 ans, Claude reçut une pipe et un pantalon long, et dut partir gagner sa vie sur les routes. Il commença par garder les cochons.
Puis à 15 ans il entra en apprentissage chez un lointain cousin, et à 18 il était sellier bourrelier.
A 20 ans, il « monta» à Paris pour se faire embaucher chez Renault, qui cherchait des selliers pour fabriquer les capotes de voitures.
Il rencontra Juliette Capron et l’épousa.
Son père ne lui pardonna jamais d’épouser une « fille d’usine » et lui interdit de reparaître devant lui.
Ils eurent deux enfants, puis elle tomba gravement malade.
Alors pour arrondir des fins de mois qui débutaient aux alentours de la première semaine, mon grand-père faisait des ressemelages et des réparations de chaussures pour des particuliers.
Si vous allez sur Internet, vous pourrez lire que Labouthière vient de « bottier »…
Séverine L.