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Rentrée.

Nous  étions le 4 septembre. Il faisait froid et brouillasseux.

C’était le jour de la rentrée. La classe autour de moi grouillait d’enfançons entre 2 et 3 ans.

Un jour de rentrée en petite section d’école maternelle, c’est l’horreur absolue.

Une sorte de répétition de l’apocalypse.

 

Il y avait bien sûr, ceux qui n’avaient jamais quitté Maman et qui sanglotaient à fendre l’âme, se rencognaient dans un coin du mur en refusant tout contact visuel et encore moins physique.

Ceux qui étaient fiers d’être assez grands pour entrer à l’école, mais que l’angoisse des effarouchés faisaient osciller sue leur base et qui ne demandaient pas mieux que de rejoindre le clan des hurleurs.

Ceux qui se croyaient pris au piège et étaient décidés à vendre chèrement leur peau, toutes griffes dehors et menaces de morsures. En général eux aussi s’effondraient avant de mettre leurs menaces à exécution, épouvantés par tant d’adversité.

Ceux qui venaient de la crèche, déjà vieux routards de la collectivité, et qui profitaient de la situation pour sortir le maximum de jeux et se bombardaient avec, à grand renfort d’éclats de rire.

Il y avait aussi ceux qui grimpaient sur les genoux de la maîtresse, moi en l’occurrence, et pleuraient sur son épaule, voire lui morvaient dans le cou.

La seule arme de guerre en petite section, c’est le mouchoir jetable. Un enfant qui se mouche ne pleure pas !

L’ATSEM*  Nicole en avait un sur un bras, un accroché à son auriculaire, deux cramponnés à sa jupe, et un qui ne lui lâchait pas le genou.

Le locataire de mes propres genoux frappait tous ceux qui venaient auprès de moi chercher un peu de réconfort, me prenait vigoureusement les joues en y plantant ses petits ongles et me tournait la tête vers lui en gémissant « Moi veut Maman ! »

J’avais fort à faire pour me dégager, ensuite l’empêcher de frapper les autres enfants qui comprenaient encore moins ce qui leur arrivait et sanglotaient de plus belle en appelant leur mère.

Un ou deux avaient repéré que les deux adultes étaient débordées, ils cherchaient donc une issue pour nous fausser compagnie.

Il y en avait 34.

Au bout d’une heure, une heure et demie, un semblant de calme commençait à s’installer, troublé de temps à autre d’un sanglot mal contenu.

Les fugueurs potentiels s’intéressaient à un puzzle, d’autres s’étaient approprié les poupées et les petites voitures.

Nicole et moi étions tout sourire, ravies de cette paix si rapide, ce qui nous semblait de bon augure pour la suite.

Nous avions même réussi à convaincre deux esthètes de garder le collier étiquette avec leur prénom .Il est vrai qu’un morceau de carton sur un lien de raphia vert, ce n’est pas très seyant.

Et là, sans prévenir, un déclenchement de sirène. L’alarme incendie.

Un vif regard avec Nicole, nous bondissons et faisons sortir les enfants dans le couloir pour les habiller en hâte.

Manteaux, cagoules. Les hurlements reprennent. L’angoisse monte en flèche. Nous devons les vêtir au plus vite, il fait trop froid et humide pour les emmener dehors sans protection à cet âge.

Certains refusent. D’autres ne reconnaissent pas leur manteau. Nous tentons d’habiller le reste des gamins sans laisser échapper ceux qui sont déjà vêtus.

Nous rassemblons le troupeau hurlant et les menons sous bonne escorte (2 pour 34 !!) dans la rue.

Le mouvement n’a pas échappé aux mamans, qui surveillaient la cour de récréation depuis leurs fenêtres et voient notre équipée. Quoi ? Leurs enfants dans la rue ?

Certaines descendent de leur immeuble et viennent nous interpeller.

Il faut alors gérer les mères, qui nous suivent en appelant leurs bambins. Nous devons empêcher les dits bambins de les rejoindre, afin de ne pas en perdre un seul de vue.

Nous emmenons notre cheptel le plus loin possible des immeubles, il flotte une odeur dans la rue qui pique le gorge, certains petits se mettent à tousser. Nous espérons qu’aucun n’est asthmatique.

Certaines mères deviennent agressives, nous essayons de leur expliquer, les calmer. Nous parlons sécurité, essayons de rester calmes nous aussi.

Les pompiers arrivent et nous demandent de partir deux ou trois rues plus loin.

Certaines mamans alors commencent à nous aider à encadrer le petit groupe, prennent des enfants par la main ou dans leurs bras, leur sourient, les rassure.

Cela suffit pour calmer les autres mamans, qui suivent alors le mouvement et prennent leur petit par la main mais restent avec nous. Certaines vont même prévenir les voisines que nous serons en retard pour leur rendre les enfants.

Nous sommes restés trois heures dans la rue.

Les petits, transis, ont fini par se résigner.

Ils n’ont recommencé à pleurer que lorsque nous avons voulu les faire rentrer en classe.

Et tous les jours suivants…

Cette année-là, la semaine de la rentrée ne connut quasiment aucune baisse de décibels.    

Séverine L.   

*Assistante maternelle

Tag(s) : #Séverine L, #Textes de participants, #La Passagère
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