J’avais décidé de me fabriquer une robe.
Ou plus exactement, j’étais tombée amoureuse d’un tissu gris, chatoyant de différentes teintes de mauve. Si je me souviens bien, c’était un motif fleuri très fondu, de type fleurs de chardon. C’est vague, cependant….
Il était doux à regarder, doux au toucher, vaguement satiné.
Je ne pouvais pas en détacher le regard, n’arrivais pas à le reposer sur l’étal.
Je venais d’avoir ma fille et j’en avais gardé quelques rondeurs, qui me paraissent bien modestes actuellement mais qui à ce moment me semblaient épouvantables, ce que ne se privait pas de souligner mon mari.
Il est vrai cependant que je ne rentrais plus dans aucune robe, et que je ressortais beaucoup plus vite de mes pantalons que je ne mettais de temps à y rentrer.
Je me drapai dans le tissu, et ce que je vis me convint tout-à-fait. C’était MON tissu. Et ce serait MA robe.
Aidée par la vendeuse, je fis choix d’un patron adapté à mes nouvelles mensurations, que j’espérais bien provisoires.
De retour à la maison, j’eus toutes les peines du monde à ne pas m’y mettre de suite.
L’idée faisait son chemin dans ma tête, je voyais la robe telle qu’elle serait, comment je m’y prendrais, quelle allure j’aurais en la portant et ma foi cela me semblait fort acceptable.
Enfin, les autres priorités accomplies, je me mis à la confection de mon chef d’œuvre.
J’eus beaucoup de mal à couper, ajuster, faire coïncider les coutures, ne pas prendre le tissu à l’envers, ne pas piquer les morceaux tête-bêche. Un travail de Titan pour une apprentie aussi perfectionniste !
Enfin, la robe prenait forme, le travail en cours me demandait beaucoup d’attention et de concentration, mais je ne voulais en aucun cas qu’on puisse flairer un travail de débutante au premier coup d’œil.
Et le grand jour arriva. Ma robe était finie.
Je la montrais ravie à mon mari, qui haussa les épaules d’un air navré.
Normal, j’avais l’habitude, et il avait vu d’un très mauvais œil que je passe autant de temps pour ma petite personne au lieu de la sienne, tellement plus intéressante et prioritaire.
Je me tournai, triomphante, vers ma belle-fille, dix-huit ans à l’époque.
« Passe-la », me dit-elle.
Je m’exécutais, le cœur battant, et revins sous son regard.
« Pfft… fit-elle. Tu as déjà un cul pachydermique et tu ne trouves rien de mieux que de t’habiller en gris éléphant… »
Je reçus en plein visage cette claque phénoménale. J’allai reposer ma robe et la laissai tout au fond du placard.
A quelques temps de là, ma belle-fille me dit : « Tu ne la mets plus ? Alors je peux la prendre ! »
Elle ne l’a plus quittée pendant au moins deux ans.
Plus ? Je ne sais pas, j’étais partie.
Séverine L.