Mes pas résonnent sur le carrelage au plus profond de la nuit.
Le couloir s’allonge au fur et à mesure que j’avance, comme s’il ne devait jamais finir. Mes pieds génèrent de la surface au lieu de la réduire.
Sur la gauche, un frôlement d’ailes.
Une lueur bleutée. Douce et transparente comme un pongé de soie. Vaporeuse comme une mousse de savon.
Bleutée, vraiment ? Il y a aussi du vert. Des reflets irisés.
Un papillon gigantesque sort du rayonnage et c’est un livre, dont les feuilles palpitent dans la nuit. Il volète de droite à gauche dans un doux chuintement, léger comme un souffle. Il bat de la feuille.
En sortent un château, un moulin à eau au bord d’une rivière, une petite fille coiffée d’un bonnet rouge. Elle rit en me montrant son jupon de dentelle.
Je tends la main vers elle, elle saute par-dessus le ruisseau, riant encore de son rire en cascade, et s’enfuit comme une bulle de savon.
J’essaie d’attraper le livre-papillon, et le voila qui se pose tout doucement sur un coin de la bibliothèque. Il palpite dans son halo de lumière.
Puis il s’éteint.
Un peu plus loin sur la droite, une énorme luciole émet une lueur jaune. Très douce. Mais très brillante. Le livre recule, il peine à sortir de sa rangée. II se tortille.
La lumière jaune tremblote, vacille.
Il faut que je l’aide.
Je tire le livre-luciole, il m’échappe et lui aussi se met à voleter dans le couloir, déversant au passage un pont de lumière sur lequel se promène une femme africaine, enroulée dans son boubou flamboyant.
Elle porte une jarre sur la tête, son allure est celle d’une princesse. Elle est droite et souple, lien solide entre le ciel et la terre. Elle traîne par la main un bambin joufflu, crocheté à son index.
Deux doigts dans la bouche, il bave et gazouille. Il lève vers elle ses yeux immenses, la femme éclate de rire.
Elle soulève le petit et le cale sur sa hanche. La jarre n’a pas bougé, pas une goutte d’eau n’est perdue. La femme s’éloigne de son pas lent et ferme. Elle chante pour l’enfançon. Majestueuse et tendre.
Elle s’évanouit dans la brume dorée.
Je m’accroupis pour toucher le sable sous ses pas, pour le faire glisser entre mes doigts, comme la caresse d’une pluie d’or.
Mais je ne trouve que des fleurs. Je pose le doigt sur l’une d’elles, elle s’enfuit.
Attends, attends-moi !
Mais la fleur se glisse entre les pages d’un gros dictionnaire.
Je continue d’avancer.
Ça et là, des lueurs douces et colorées surgissent et s’évaporent sur mon passage.
Je marche au milieu d’un arc-en-ciel évanescent, dont chaque nuance me raconte une histoire.
Les couleurs pâlissent, s’estompent, se dissolvent.
Le jour se lève.
Bonjour, le petit jour.
Séverine L.