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 Vue sur Mer

« Le cri des mouettes les rumeurs de la mer
Trop longtemps j'ai cherché la lumière ».

J’en le sentiment en ce réveil que ces paroles me reviennent d’un autre temps, de celui de ma grand-mère qui me chantait cette chanson chaque fois qu’elle et moi étions blottis l’un contre l’autre, les joues rosies par le vent, les fesses glacées par le sable mouillé, à contempler la mer, parfaitement immobiles comme si le moindre de nos mouvements pouvait la chasser au loin et nous priver de son spectacle. Cette bulle de tendresse me revient si fort que je referme les yeux pour laisser monter en moi le bruit du ressac, le cri des mouettes rieuses striant le ciel par-dessus l’onde blanche et bleue, l’odeur du varech. Un rayon de soleil vient soudain brutalement percuter mes paupières. Pour une fois j’aurais aimé avoir fermé les volets et que nulle lumière ne vienne rallumer la salle où se joue cette scène intime. Trop tard. Il est 6 heures passées et je dois me mettre au boulot car c’est le matin que j’écris le mieux. Je me suis aménagé un bureau dans un cabanon de bois sur une petite butte au fond du jardin. Comme la campagne est plutôt humide par ici et mon jardin plutôt inondable, j’ai fait construire une passerelle en bois qui relie la maison à mon bureau ainsi accessible par tous les temps.
« Max, cesse de me lécher la main ! Je me lève. ». Max, c’est mon deuxième réveil. Il attend patiemment au pied du lit et dès que j’ouvre l’œil je sens sa langue tiède et sa truffe fraiche sur ma main.
Je le suis mécaniquement dans l’escalier. Mon cœur et mes pensées sont encore avec Mémé Lise sur la plage. « Ne m’appelle pas Mamie, je préfère Mémé. C’est ainsi que j’appelais ma grand-mère et au fond c’est ce que je suis : une vieille mémé ! ».

Max me tapote le pied de sa patte. « Je t’ouvre. ».

Non ! Je vais refermer et quand je vais rouvrir tout sera comme avant. Je rouvre et tout est comme avant, mais comme avant que j’ouvre la porte pour la deuxième fois. A la lisière du jardin s’étend une dune et plus loin, à dix mètres, en lieu et place de la forêt : la mer. De l’autre côté de la baie, j’aperçois encore la ville haute de Sainte-Anne et son clocher, mais tous les faubourgs ont disparu. Les mouettes rieuses ont remplacé les tourterelles des bois. Elles passent en rase motte au-dessus du jardin, virent au niveau du cabanon et s’élancent à nouveau dans un ciel d’azur sans nuage. Il est six heures et quart. Il fait 30 degrés. Il y a trois jours, en plein mois d’août, j’ai mis une bûche dans la cheminée pour réchauffer ma soirée. Hier encore Max est rentré tout boueux de la promenade et la maison a senti le chien mouillé jusqu’au soir. Là, le sol du jardin est craquelé par la chaleur et la sécheresse. Je suis Max à travers les allées d’herbes et d’arbustes jaunis. A la pompe, plus une goutte d’eau. Je pousse à la limite Est de mon terrain. Une oliveraie a remplacé les pommiers de M. Tessier et sur les deux collines derrière elle et face à moi s’étagent en restanques des vignes de belles tailles. Au pied, la maison de Sylviane est toujours là, inchangée, comme un oasis dans ma mémoire.
- « Salut Sylviane ! Comment vas-tu ? »
- « Tu as sorti ta vieille Renault ? »
- « Vieille Renault qui a deux ans. »
- « Deux ans…il y a trente ans ! »
- « Rentre tu seras au frais ».
Sylviane est mon amoureuse. Enfin, je ne lui ai pas encore dit. Je suis comme cela ; j’ai toujours l’impression d’avoir la vie devant moi pour dire et faire les choses de la vie.
Chez elle on entre de plain-pied dans la cuisine.
-« Ah ! tu as tout changé. C’est super techno chez toi »

-« Non, j’ai juste changé mes abonnements. Maintenant c’est Levert qui gère ma réserve alimentaire avec Gouteur qui gère mon suivi diététique, mes menus et l’affichage de mes recettes ».
-« On se croirait dans un hall de gare avec tous ces panneaux d’affichage»

Un bruit de scooter envahit la pièce. Sylviane ouvre la porte. Dans la cour un drone dépose une caisse réfrigérée sur roulettes qui se dirige vers la cuisine. Un hologramme apparait. Je reconnais Bertrand qui travaille chez Levert depuis une dizaine d’années.

-« Salut Sylviane, j’espère que je n’ai rien oublié. Je viendrai à Sainte-Anne dimanche voir Maman, si tu es là je passerai pour le café. Bon, je file !»
La caisse a fini sa course devant le frigo où elle attend d’être déchargée.
-« Ta fille va bien ? »
- « Elle s’adapte. J’ai reçu une carte. »

Sylviane pointe un pan de mur où apparait une carte postale représentant une Tour Eiffel surmontée d’un gros cœur rouge où est écrit « A toi Maman pour ta fête ! ».

-« Pas facile pour elle de passer d’ici à une mégalopole de quarante millions d’habitants. Mais il faut bien nourrir les parisiens. Elle fait beaucoup de recherches pour intégrer l’agriculture verticale au sein des tours. Elle travaille actuellement sur une tour de cent soixante-dix étages capable de fournir en produit frais tous les habitants, palier par palier. »
- « Je vois d’ici la ruche ! Et ton fils ? »

Sylviane baisse la tête.
-« Depuis dix-huit mois qu’il est parti pour Proxima du Centaure, je n’ai aucune nouvelle. Heureusement j’ai des nouvelles par les infos. Ils affirment que la colonie se porte bien, qu’elle n’accuse aucune perte et qu’elle attend même ses premières naissances. »

-« Alors tu seras sans doute bientôt grand-mère d’un Centaure ! Tu viens faire un tour ? Tu conduis ?»
-« Non je ne préfère pas. Cela fait une bonne vingtaine d’année que je n’ai pas conduit. Tu ne peux pas savoir ce que j’apprécie de m’installer à l’arrière de ma Musk qui me conduit où je veux, quand je veux par tous les temps. Pas un accroc en 20 ans ! »
-« Alors c’est moi qui t’emmène ».
Nous voilà tous les deux sur la plage, blottis sous un parasol, les joues rougis par la chaleur, les fesses enfoncées dans le sable brûlant, parfaitement immobiles pour ne pas sortir du carré d’ombre. Il aura fallu trente ans pour amener la mer à mon portail. Tout a été si vite. Peut-être serait-il temps que je lui dise là maintenant : Sylviane, tu es mon amoureuse.

« Max ! Max !” Merde, il est neuf heures. Je déteste me rendormir comme cela. Je traine comme une gueule de bois toute la journée qui suit. Je dévale les escaliers et ouvre la porte à Max. L’air frais d’un mois d’août percheron bien pourri me saisit. Il y a quand même une petite percée claire au-dessus de la colline de Sainte-Anne, de l’autre côté de la forêt. Par acquis de conscience, je m’équipe chaudement et je ferme et rouvre une deuxième fois la porte. Et tout est comme avant, avant que j’ouvre une deuxième fois la porte. Je pousse jusqu’au bout du jardin. Sylviane a mis une bûche dans la cheminée.
-« Salut Sylviane ! ». Elle se tient sur le pas de la porte, sa tasse de café à la main, vêtue de mauve de la tête aux pieds chaussés de ses crocs roses toutes maculées de peinture. Deux longues mèches auburn encadrent une myriade de taches de rousseur et font ressortir ses yeux émeraude. Sa bouche dessine un sillon pâle et fin qui s’harmonise si bien avec les lignes doucement anguleuses de son visage. Elle m’émeut trop. Je ne pourrai pas lui dire.
-« Ca te dirait de venir avec moi voir le village de ma Mémé Lise dans la Manche ? Si on part maintenant on pourrait y être pour le déjeuner. »
Là, assis sur la plage, les fesses au frais dans le sable humide, serrés l’un contre l’autre pour ne pas laisser passer le vent frais, tout imprégné de sa chaleur et de son odeur, je n’ai pas pu le dire. Alors…

« Ramassant une brindille, que la mer avait jetée
Dans le sable mouillé je l'ai tracé. »

Lydie F. 

 

 
Tag(s) : #Lydie F., #Atelier d'écriture, #Atelier en ligne
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