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Très tôt le monde t’a proposé un carcan :
Ils ont endormi ta mère lors de ta naissance,
Une petite bouffée, ce n’est pas grand-chose
C’est une anesthésie à la reine,
De quoi vous plaignez vous ma p’tite dame ?
Ah non ce n’est pas un garçon ! C’est encore une fille.
Elle portera les vêtements de ses sœurs,
cela vous fera faire des économies, ma p’tite dame.
Dès l’âge de sept ans, muette dans ton uniforme bleu marine, jupe
plissée, pull en V, socquettes blanches, tête baissée, tu as suivi.
Bonne élève
Messe le dimanche, confession le jeudi.
Tu inventes des pêchés,
Tu es sage comme une image.
Ne pas mentir, penser à son prochain.
Ne pas pleurer, rester droite, ne pas faire l’enfant.
Obéir à ses parents
Ne pas fatiguer la mère, tu es la petite dernière
Ecouter le père.
Mettre la robe du dimanche
S’agenouiller au bon moment.
Tu as fait tout comme il se doit.
Bachelière à 17 ans
Diplômée à 21 ans
Mariée à 22 ans
Premier enfant à 24 ans
Famille nombreuse à 30 ans.
Au troisième enfant le carcan se fissure
Le vide t’aspire
Tu as pourtant fait tout comme il faut
Accoucher sur un coussin
Faire le peau à peau
C’est une belle naissance, peut être la dernière.
Toi, tu n’en peux plus
Continuer à être forte,
Allaiter au sein
S’occuper des deux grands
Nourrir le mari
Prévoir les weekends, les vacances, la rentrée scolaire.
Tu as tout pour être heureuse, te répète ta mère :
Un mari haut fonctionnaire
Trois beaux enfants
Une belle maison, un jardin, assez d’argent.
Tu ne manques de rien, répète ta mère
Tu pleures sans cesse,
Tes larmes couvrent les cris de ton enfant.
Pourquoi l’aimer ?
Tu n’as qu’à prendre sur toi, répète ta mère.
Tu ne peux plus faire semblant.
Un raz de marée te dévore, la vague te submerge
Plus de retour arrière, il s’agit de ne pas se noyer.
Alors elle est venue, plutôt tu y es allée.
La femme sage t’a bercée, les mains sur ton ventre
Mettant des mots sur tes maux, semaine après semaine.
Peu à peu un son est venu de très profond.
Un chuchotement discret, à peine audible.
Il s’est fait plus prégnant, plus distinct
Comme une phrase, une mélodie.
Il a envahi tout ton corps d’une chaleur douce
Il est monté jusqu’à ta gorge
Il a éclos sur le divan
En un grand éclat de rire tu as clamé le mot : Liberté.
Françoise L.