Incipit : J’allais voyager avec une dame.
J’allais voyager avec une dame. Voilà bien une chose à laquelle je ne m’attendais guère !
J’étais exceptionnellement contraint de prendre le train pour descendre à Biarritz, les caprices de mon automobile la retenant chez le garagiste. J’avais demandé à Germain mon majordome de procéder à la réservation pour moi. Il allait de soi que je voyagerais en première classe, seul, dans la plus grande discrétion car la promiscuité de la foule m’insupporte. En outre j’avais l’intention de tirer parti de ces heures de voyage pour mettre au point l’ordre du jour du prochain Conseil d’Administration de la société dont j’étais le Président.
Lorsque Germain m’annonça que je serais en vis-à-vis d’un autre passager, je fus mécontent. Et lorsqu’il poursuivit, m’annonçant que ce passager serait une passagère, je fulminai. Une femme ! Quelle malédiction ! Elle bavarderait tout le long du chemin, c’était certain. Elle ferait des mimiques en tous genres, elle voudrait se faire remarquer du beau quinquagénaire que le hasard avait placé juste devant elle !
Puis je réfléchis. Dans le fond, cette femme, ce serait peut-être une petite jeune fille toute gentille, innocente, portant un col Claudine bien propret, une jupe bleu marine plissée sur laquelle elle aurait croisé ses menottes gantées de blanc ! Elle regarderait le paysage avec obstination, le teint légèrement rosi par l’émotion de percevoir que je la considérais, discrètement bien sûr, mais avec curiosité. Ah, ce serait une bénédiction !
Une fois assis à ma place, regardant le public affairé sur le quai j’examinai toutes ces passagères en puissance. J’avisai soudain une femme exubérante, virevoltant dans son manteau de fourrure, une mèche rebelle échappée d’une toque de la même fourrure, tenant bien serré contre elle un petit caniche blanc - œil vif, truffe humide - exactement comme je les déteste. Calamité : elle monte dans mon wagon. Angoissé, j’attends. Silence. Enfin, aux tonalités aiguës de sa voix pointue j’entends le contrôleur répondre que sa place se trouve dans le wagon voisin. Quel soulagement ! Je l’ai échappé belle…
Mon imagination construit mille scénarios. J’allais voyager avec une dame, m’avait dit Germain. Certes, mais laquelle ? Comment serait-elle, cette personne ?
Le départ imminent du train est annoncé. Toujours pas de dame en vue. Le train s’ébranle. Personne. Je souris intérieurement.
Peu après dans le couloir derrière moi, je perçois quelques murmures polis, un mouvement furtif, un bruissement soyeux. Puis un parfum délicat me dévoile la présence d’une silhouette que je ne puis voir encore. Elle est à mon côté, arrêtée, en suspens. Cette prudente retenue me semble de bon augure. Serait-ce la dame avec laquelle j‘allais voyager ?
Fredaine