Pas la moindre mer têtue à la border, pas le plus petit port qui y tremperait les pieds dans une eau salée et vivante... Aucun claquement de voile, ni de cliquetis des drisses contre les mâts pointés vers le ciel et leur balancement chahuté de la vague aspirant sans doute à s'échapper. Ni une seule promenade possible en haut des falaises dressées vers la mer moutonneuse et ses ressacs. Puisque pas de falaises. Pas un seul grain de sable à s'égarer suavement dans des tongues beurrées d'huile solaire. Pas une seule bouffée d'air iodé toute émoustillée encore de l'écume de ses récifs sur lesquels aucun voilier des rêves, jamais, n'est venu s'échouer...
Au début, j'ai voulu voir en elle une province qui vallonnait, bombait un peu ses collines comme des seins d'adolescentes alanguies par le manque d'horizon et creusait un peu leurs reins devenus agricoles. Une province qui laissait ainsi serpenter ses rivières paresseuses le long de ses herbages jaunis dans le ronrons lents et policés des tracteurs ne pouvait pas être contraire à la jeune fille effrayée de la guerre que j'étais... Et j'ai aimé aussi la pierre blonde de ses demeures accordée à la blondeur de mes cheveux que le vent du large ne dérangeait plus.
Mais il y fait de plus en plus chaud l'été, de plus en plus froid l'hiver... et je m'y sens de moins en moins moi-même... comme desséchée, exsangue dans l'air échauffé... J'étouffe ! J'ai cherché à me baigner dans les mers vertes des blés et des maïs en herbes, j'ai voulu m'immerger dans les rus asséchés... et à essayer, les années ont passé.
Je suis vieille à présent et mes cheveux de blonds sont devenus gris dans mon chignon serré.
Pas une mèche, hélas, ne dépasse.
Et avant de mourir, il me faut... j'ai besoin de l'horizon juste un peu incurvé sur lequel navigueraient mes rêves d'antan.
Sentir une dernière fois le vent dans mes cheveux... Et je voudrais, de nouveau, ne plus être qu'un trait, sur la mer en allée.
Marie Alexandrine