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Elle regarde l’enfant agrippant la console

Équilibre précaire, ses petites mains s’affolent.

Soudain, il lâche une main, puis ensuite la seconde,

Surpris, entre sourire et larmes, il chavire, tombe.

 

Émue et souriante, elle le prend dans ses bras,

Lui parle tendrement, lui dit tu arriveras.

Essaie, essaie encore, je suis là pour t’aider.

Avec moi, rien de mal ne peut  t’arriver.

 

Il savoure un moment ce corps qui l’enveloppe, 

Le protège et l’engage à lâcher ses menottes.

Attends, attends, semble montrer ses yeux,

Laisse du temps au temps, je ne suis pas si vieux.

 

Après bien des essais, et des bosses et des bleus,

Il marchera vaillant, le monde s’ouvrira.

Quand elle se remémore cette époque bénie,

Romain avait deux ans, et commençait sa vie.

 

Sa moto percutée par un bolide rouge,

La fauche et elle vole comme un fétu de paille

A  vingt mètres de là, partout, ce sang rouge

Inonde la chaussée,  son corps est en pagaille.

 

Quand elle rouvre les yeux, elle ne peut pas bouger, 

Des tuyaux, des bandages pour envelopper  

Ces bouts de chair et d’os douloureux à l’excès. 

Mettre bout à bout quelques mots sans succès,

 

Dans son cerveau meurtri, des bribes de pensées

Affleurent, j’allais chez qui déjà? Chez Chloé?

Un doute sur la personne mais quelle importance

Alors que je suis là, en miettes, en déchéance.

 

Elle replonge un temps dans ce cauchemar ouateux

Et ça roule en silence dans cette nébuleuse.

Laisser aller, ne pas penser et s’endormir

Dans cette odeur d’éther et puis ne pas mourir.

 

«Maman, maman, je suis là, c’est Romain,

 Ouvre les yeux, et donne-moi ta main.»

Le petit de deux ans surgit des marécages,

Peut-être vingt ans de plus, elle ne sait plus son âge.

 

Elle ne peut pas parler, enfin pas encore,

Elle lui sourit, il lui serre la main, pas très fort

Des larmes le débordent qu’il ne peut retenir

Brisé, il n’ose penser qu’elle peut mourir. 

 

Il part le soir venu, elle est anéantie mais

Veut croire à la force de sa pauvre psyché 

Et obère le désastre de son corps qui jamais

Ne peut redevenir ainsi qu’il a été.

 

Elle se rappelle alors ce qui l’a animé,

La marche dans les sentiers de grande randonnée,

Ancrée dans le sol, là où le ciel et la terre s’épousent

Faire le chemin pour soi, pas pour une autre jalouse.

 

Partir, sans crier gare, un sac minimaliste

Dans des forêts lointaines avec pour seul amie

La brise caressante qui ignore le temps

Son voyage, tel Ulysse, est porté par les vents.

 

Cette marche solitaire du temps de sa jeunesse

Du temps lointain où s’ignore la paresse

La remplissait de joie, de bien-être et d’émoi

Ce moment très intense où elle dictait sa loi.

 

Dans la marche, on est deux car la moitié orphique,

Celle qui relie ce moi à ce qui est plus grand,

Transforme la vision, tout devient féerique 

L’univers me transperce et je deviens géante.

 

Penser moins ou différemment, plaisir de la chair

Et du regard tourné vers l’espoir et la Vie.

Marcher sans intention, les sensations de l’air

Pur et odorant, j’en prends jusqu’à l’envie.

 

Voici ce qu’elle se dit, je suis une survivante

Tant qu’un souffle me fera respirer

Je marche dans ma tête, elle me fait vibrer,

Mes pas intemporels, je suis vivante.

 

Véronique Kangizer

 

                                 

 

Tag(s) : #Marcher, #Véronique Kangizer, #Textes des participants
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