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Je marche

Guidé par la sagesse, je me fraie un chemin par une voie étroite. Je parais au-dehors, épuisé et sans souffle. Je n’ai encore rien goûté du calme après l’effort que, déjà, on teste mes prédispositions à la marche. Savent-ils que c’est le froid de la table qui me fait lever les pieds l’un après l’autre ? Plus tard, pour me faire avancer, on me tendra les bras, en promesse de douceur, câlins et réconfort : marcher pour gagner la récompense, tel doit être mon destin.

Tu marches

Tu vas, tu viens. Les mères sont instables. Parfois tes pas me privent de toi. Mes yeux avides cherchent ta silhouette, mes oreilles attentives guettent tes bruissements. Je me déplace pour te retrouver. Je marche parce que tu marches. Mes pas ne poursuivent pas d’autre but. Tu pars, je te suis. Je te suis encore parce que je suis encore toi. Ma main toujours rejoint ta main. Bientôt, tu pourras t’esquiver sans m’émouvoir. Un jour viendra où je laisserai tes pas t’éloigner de moi sans être rongé par le manque.    

Il ou elle marche 

Un beau jour que ce jour où l’Autre se découvre, passe et repasse devant moi, ralentit le pas pour deviner mes dispositions ! Souvent, l’envie de me sourire infléchit son chemin. Une heure nous sépare mais son désir avale les minutes, allonge son pas et se nourrit par avance des délices qui l’attendent. Ses pas la mènent à moi. Un jour ils l’en éloigneront. J’ignore encore qu’il me faudra courir un jour pour tenter de la retenir. Plus tard, bien plus tard, le chemin d’une autre croisera le mien. 

Nous marchons

Parfois l’envie nous prend de poser le pied sur les chemins alentours. Au moment du départ, j’abandonne au logis les pensées qui m’occupent, les projets du moment, les prévisions du lendemain. Je refuse aussi à mes souvenirs amers de se glisser dans mon sac à dos. Les regrets, les remords, les projets avortés resteront derrière moi. J’aime voyager léger. Et rien n’est plus lourd qu’un rêve inachevé. Je fais surtout en moi vœu de me taire. Parler fausse la marche et fait obstacle au moment présent. Nous marchons sans mot dire, unis par un silence empli de vie et vibrant d’accomplissement. Le cheminement à deux est un dialogue muet, nourri d’élans communs où chaque pas accompli vaut un mot prononcé. Le parcours se déchiffre ainsi, pas à pas, mot à mot. De longues phrases se succèdent, ponctuées de virages, d’hésitations et de haltes minuscules. Nul pas de côté, nul mot de travers. Notre cheminement conjugué est un ravissement chaque fois renouvelé. On marche comme on s’aime et je comprends enfin que le but du voyage est le voyage lui-même.

Vous marchez

Allez sans moi ! À l’heure où ma surface se ride sous le souffle des ans, mes pas deviennent rares et peinent à arracher ma chair aux liens qui la retiennent. Mon esprit s’accroche aux bras moelleux du fauteuil, mes yeux ne se lassent pas de la caresse du vent dans le saule du jardin. Mes joies se nourrissent de peu et l’immobilité a depuis longtemps cédé le pas à mes déplacements.

Ils ou elles marchent 

Le monde ne m’attend pas et avance à grands pas. Regardez-les tous : ils vont ensemble, en rythme, avancent à marche forcée, à pas cadencé et pressent le pas. J’ignore ce qui les pousse, ne parviens plus à deviner leur destination. Je ne peux plus suivre et je ne veux plus les suivre : ils courent à leur perte. Le temps est venu pour moi de m’arrêter au bord de la route pour contempler le chemin parcouru, sourire au vent d’été et tenir ta main dans la mienne pour les quelques pas qui me restent à accomplir.

 

Tag(s) : #Marcher, #Laurent Eichbaum, #Textes des participants
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