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Se préparer. Rituel immuable. Se dresser à la lisière du manque. Pantalon de toile habillé de poches comme des petits ventres de secours. Opinel, allumettes, pince à épiler, compresses et sparadrap, désinfectant, papier toilette. La vieille chemise de flanelle à carreaux rouge et noir, râpée, effilochée, délavée, douce comme une caresse. Vieux lange d’un vieux bébé. Le Kway roulé autour de la taille sous la doudoune rebondie. Chaussettes hautes. Chaussures de cuir marron et lacets rouges. Chapeau cloche qui fut orange. Lunettes de soleil. Le sac à dos. Fruits secs, gourde métallique cabossée, pain, tomme de brebis, tomate, pomme. Solidement enroulés, le tapis de sol et le sac de couchage s’accrochent aux lanières. Il est prêt. Partir à pied. Marcher vers la montagne. Se laisser dominer. S’offrir. Un pied devant l’autre. Un pied après l’autre. Lentement, sans précipitation, assortir sa respiration au rythme de ses pas. Les yeux rivés sur le chemin pour en déjouer les racines qui se cachent sous les feuilles mortes ou les cailloux instables. Respirer l’air de plus en plus vif. Franchir la forêt de feuillus qui bruisse des ailes d’insectes et des trilles aigües des pinsons des bois. Fouler un sol souple et odorant. Atteindre ensuite l’altitude où les mélèzes imposent leurs hautes statures. Leurs lits d’aiguilles brunes. Emerger enfin au ciel libre dans une clairière herbeuse. Ne pas s’arrêter. Marcher, toujours, jusqu’à la crête. Au sein de l’immensité minérale, il s’allège… dépouillé peu à peu de lui-même. Plus de pensées. Seule la marche existe. Il n’est plus que son corps. Une mécanique d’os et de muscles qui avance. Les mollets durcis luttent dans la pente. Ses tempes ruissellent. Encore quelques pas avant une pause. Assis sur une pierre plate au sommet, il se répand dans ce paysage qui n’appartient à personne, n’attend personne. Les quatre lacs de Vens détrompent l’espace de leurs reflets immobiles. Manger un peu, boire. Se satisfaire d’un plaisir primaire. Puis entamer la descente au travers des pierriers. D’un pied prudent évaluer chaque pierre. L’oreille vigilante pour ne pas se laisser surprendre par des éboulis soudains. Rejoindre les pentes vertes après un large détour pour ne pas déranger la harde de chamois qui paissent au soleil couchant. Atteindre les bords du premier lac. Nettoyer sa chambre. Toujours la même, au creux d’un rocher. Minuscule caverne. Il lui a appris là, exactement là, à se prémunir des changements de temps, des orages nocturnes. Ses jambes réclament maintenant le repos. Assis en tailleur sur son tapis, il guette l’approche de la transparence du ciel. Vénus va apparaître, sublime et solitaire. Le signal. Préparer le bivouac avant l’obscurité. S’installer les yeux ouverts, s’engloutir dans la lente glissade des champs d’étoiles. Laisser couler cette larme d’un bonheur paisible. 

Il a encore réussi. Il a marché vers lui. Il a marché pour le retrouver. Sans tristesse ni regret. Sa main au creux de la pierre encore tiède sait encore se rassurer de sa tendresse. Il marche pour continuer d’aimer. Il marche parce qu’il ne sait pas prier.

Dominique Olsenn

 

Tag(s) : #Marcher, #Dominique Olsenn, #Textes des participants
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