Tu ne te souviens plus du lieu de tes premiers pas.
Ni du jour où tu as su marcher.
A peine née, tu vois rouge.
Debout sur tes deux pieds, te voici prête à conquérir le monde.
Qui es tu petite humaine ?
Quatrième de ta fratrie, tu dois rester à ta place, ne pas sortir du rang.
Docile tu te tais, tu n’en penses pas moins.
Tu suis les pas de tes aînées.
Le dimanche au printemps, comme le chaperon rouge
tu cueilles les coquelicots.
Tes sœurs t’informent: « gare au taureau ».
L’été souffle un vent de liberté, jeu de cache-cache dans les dunes.
Les enfants chantent à tue-tête « la meilleure façon de marcher c’est encore la nôtre : c’est de mettre un pied d’vant l’autre et d’recommencer ».
La marmaille t’éclabousse, tu sautes à pieds joints dans les vagues.
Au cœur de la mêlée, tu es rouge coquelicot.
Tu grandis, bonne élève tu respectes les feux rouges.
A clochepied, tu évites soigneusement les lignes entre deux pavés.
Un jour tu fais un pas de coté, un tout petit pas.
L’air de rien, le lendemain tu recommences.
Tu y prends gout, les écarts se font plus grands, plus fréquents.
Tu quittes le trottoir, d’une enjambée tu descends dans la rue.
Tu rejoins le cortège de tes compagnes, rouge est leur colère.
Tu apprends à taper du pied, à dresser le poing.
Débute un combat solitaire, une fuite peut-être ?
Dans les champs les blés étouffent les coquelicots.
Dans l’empreinte de ton père, ta voie se précise, véritable quête.
A pas comptés, tu avances sur un fil.
Entre deux obstacles tu évites les faux pas.
Malgré les chutes tu relèves la tête.
Te remettre debout, ne pas laisser de traces.
De tes doutes ne rien laisser paraître, cheminer en paix.
Ne pas reculer, toujours marcher : un pied devant l’autre.
Tu es le guide, à toi la lanterne, dans le noir tu dois tracer la route.
Tu arpentes le désert.
Tu ne glanes plus le coquelicot.
Peu à peu le sentier s’éclaircit.
Les ronces se font rares, les cailloux se font lisses.
Ta foulée est légère, ta silhouette élégante.
Après l’orage tu savoures la pluie.
Tu t’amuses des fausses routes,
Chaussée de bottines rouges, tu oses les chemins de traverse.
Tu effeuilles la marguerite, le rossignol vient à toi.
Le long du sentier tes filles s’envolent, elles sont femmes.
À l’étape un compère t’accompagne.
Tu esquisses un pas de deux, un pas en avant, un pas en arrière.
Tes chevilles vacillent, ton cœur flageole.
Pas à pas la danse l’emporte, ce n’est ni un tango ni un fandango.
Un, deux, trois il t’enlace pour une valse à mille temps.
Dans la prairie au creux du jardin, fleurissent les coquelicots.
Françoise L.