La nuit sur l'île de Sein de Michel Hamelin
C'était fantomatique. Le camping de l'île bourdonnant d’activité il y a quelques semaines à peine était maintenant totalement désert. Mais pour moi, le gardien de la morte saison, il n'y eut aucun cri d'alerte au moment du blackout.
Les habitants du petit village voisin de cinq kilomètres étaient-ils touchés également ? Ou bien seulement moi ? Avais-je chargé mon téléphone suffisamment ? Après tout peu importe, la réception était de toute façon incertaine ici. Qui allait appeler EDF ?
Résigné à mon sort, errant dans l'obscurité totale, sans lueur d'étoiles ni de lune, la couverture nuageuse me rendait aveugle, et exacerbait mes autres sens pour compenser. Faire en sorte que mes pieds soient aussi sensibles que mes mains, pour sentir les pierres du chemin et trouver la bonne direction en me glissant tel un voleur dans la nuit. Privé d'un sens, dit-on, les autres essaient de compenser. Cette nuit-là, vont-ils respecter cet adage ?
L’atmosphère était si calme et il faisait si sombre. On n’entendait que le bruit des vagues au lointain s'écrasant sur les roches du rivage. Cela aurait dû être un soulagement après tous les cris d’enfants et les adolescents désœuvrés.
Clac, aïe ! Un banc… Mon pauvre orteil se plaignit de ne pas avoir été prévenu à l'avance. Il était temps de m'asseoir et de me rappeler de l'agencement du terrain. Et plus important encore, où pouvaient bien se trouver les bougies ou les lampes torche ?
Devrais-je m'inquiéter ? Il n'y avait ni sanglier ni ours sur l'île. Le seul danger potentiel viendrait d'une mouette prise de folie.
J'avais rêvé tant de fois me cacher sous une cape d’invisibilité comme celle de Harry Potter ou du manteau de la nuit de Roméo pour disparaître à la vue des Capulet. Mais personne ici n’aurait cherché à me trouver, pas même une Juliette m'attendait dans le mobile Home n°6 du Camping Paradis, ma demeure pour cet hiver.
Le vent d'automne était doux et les soirées encore agréables. Seul mon esprit me tenait compagnie. Les pensées hurlaient et se bousculaient dans mon cerveau –la confusion de la vie m'empêchait de profiter du moment. Dans un coin de ma tête, je me disais que je n’aurais pas dû me précipiter d’accepter ce travail. Je recherchais un endroit de paix et de tranquillité pour me concentrer sur l’écriture, la méditation pour, en gros, me reconstruire après une relation tumultueuse… Est-ce que je finirais comme Jack Nicholson dans Shining ? Non, aucune chance d’être bloqué par la neige ici… Et personne pour me faire vivre un enfer, ou le sens inverse..…
Alors, qu’allait-il se passer ?
Le vent doux bruissait dans les feuilles des arbres. Je les imaginais danser dans le noir, sans personne pour en apprécier leur spectacle, que j’imaginais d’après les perceptions de mes oreilles défaillantes et cette feuille tombée sur moi par hasard.
Je pensais aux vaillants héros du football pour aveugles aux Jeux olympiques. Fred Villeroux le héros de la soirée, dans l’obscurité perpétuelle, mais avec une conscience accrue de tout ce qui l’entourait, ne laissait pas l’obscurité l’empêcher de se concentrer sur sa performance.
Mais il avait ses camarades autour de lui, et une nation derrière lui.
L’obscurité a aussi ses moments éclatants de pure brillance.
Harold S.