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... aux premiers temps de l'humanité

Les Vingt ans de Lucy

Je suis née en Afrique dans les premiers temps de l’humanité. Aujourd’hui, j’ai vingt ans (vos vingt ans aux riches promesses, lecteur, et pas ceux de mon époque car la vie nous menait rarement jusqu’à cet âge canonique !), mon père, le chef de la tribu, vient de me l’annoncer. Je le crois volontiers, car je commence à m’ennuyer dans ce camp ; jamais aucune nouveauté !

Pour célébrer l’événement, il a convié sa sœur Lucy à la fête. La voici qui arrive, Elle est élégamment drapée dans une somptueuse peau de bête. Tous se précipitent autour d’elle, c’est à qui palpera en premier la précieuse matière. « Dis tante Lucy, qu’est-ce que tu portes là ? » Objet de tant de convoitise et d’admiration, Lucy ainsi vêtue avoue que son ami de cœur a si bien taillé une pierre qu’il a réussi à dépouiller ce lion magnifique sans difficulté, séparant proprement les chairs du pelage. Puis, pour lui faire plaisir, il avait essayé d’assouplir la peau. Elle a bien dit « essayé » heureusement, car il faut avouer que l’ensemble est encore un peu raide, ce qui ne doit pas être très confortable. Mais toutes les femmes de la tribu envient sa classe et son maintien… D’ailleurs, elle a des copains modernes tante Lucy : ils savent tailler la pierre pour travailler, jusqu’à présent on ne taillait que l’os, plus tendre … On n’arrête pas le progrès. Et puis, elle a vu un lion ! Ce doit être un animal étrange.
En outre, généreuse comme elle sait l’être, notre chère petite tante Lucy a apporté un cuissot de ce gibier (royal, dit-elle) pour mon anniversaire. Quel festin se prépare ! Cela va franchement améliorer notre ordinaire car, en ces temps, la viande se fait rare par ici. De nouveaux voisins, juste entrevus à travers les branchages, sont arrivés récemment. Ils sont sans doute très habiles chasseurs, car nos hommes reviennent souvent bredouilles. Il faudra trouver moyen de travailler ensemble si nous voulons pouvoir nous nourrir correctement.
Pendant que plusieurs matrones préparent le cuissot qui déjà nous fait saliver, je rassemble mes quatre enfants. Naturellement l’un d’eux vient de tomber dans l’oued. Il est trempé, mais tellement heureux d’être rafraichi de sa course du matin dans les arbres ! Il affiche un visage réjoui : ses yeux pétillent de malice et son sourire, accroché d’une oreille à l’autre, est communicatif. Dans la ribambelle, celui-ci est bien mon préféré. Je grogne de plaisir à regarder ma progéniture s’avancer à la queue leu leu vers mon père, qui joue les patriarches aujourd’hui : je suis sa fille aînée voyez-vous, et déjà, dans les buissons, mes quatre garçons font du charme à toutes les petites filles de notre groupe. On peut dire que l’avenir est assuré, grâce à moi ! Et j’y songe, si c’était l’un des nouveaux voisins qui me donnait un cinquième enfant ? Celui que j’ai observé l’autre matin dans la rivière me plaisait bien…

 

J’aime beaucoup tante Lucy et suis heureuse qu’elle ait été invitée à mon anniversaire. Je lui pose une foule de questions sur la façon dont elle vit. Et voici qu’elle me parle de dessin et de peinture. Le dessin ? Mais qu’est-ce que c’est, et la peinture ? « Eh bien, dit-elle, c’est très simple, il s’agit d’une technique très moderne, (décidément, tante Lucy me surprendra toujours) venue du lointain Tassili où mon ami a vécu tout petit. Il regardait les grands qui dessinaient sur les parois de leur caverne avec de petits morceaux de terre séchée. C’était si beau, si vivant qu’il craignait de voir sauter sur lui la gazelle aux tons ocre dont le regard velouté lui inspirait affection et respect. C’est là qu’il a appris le métier.» Décidément je suis ébahie de tant de connaissances et de savoir-faire.

Puisque aujourd’hui j’ai vingt ans, mon père me permettra peut-être de partir en séjour chez tante Lucy ? Mes quatre fils en ont si envie. J’ai bien l’impression que chez elle, l’avenir ouvre de plus larges horizons que ceux de notre petite vallée. Avec elle, je suis sûre de faire de grands progrès, de découvrir un confort dont mon cher père n’a même pas idée : il veut toujours vivre « comme nos pères »... Comment évoluer dans ces conditions ?
Plus tard, cette pionnière sera certainement célèbre, et moi aussi, peut-être ?

 Fredaine

*   *   *

Maa-Maa

Je m’appelle Maa-Maa et cela fait déjà 20 étés que j’ai ouvert les yeux au sein du Clan. Mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres… Ce matin les hommes sont partis avant l’aube car ils ont repéré hier les traces du troupeau qui, peut-être, sauvera notre clan de la famine. Il a fallu se lever tôt, leur donner tout ce qui restait de graines et de fruits séchés dans la réserve. Les chasseurs ont besoin de forces. Certaines d’entre nous les ont accompagnés, les plus jeunes, habiles et fortes. Elles rabattront le gibier vers eux, l’effrayant en frappant le sol de lourdes branches et en poussant des cris stridents. Pourvu qu’ils y arrivent, il n’y a plus de viande depuis déjà presque une lune… nous ne tiendrons plus très longtemps. Nous autres, nous sommes restées avec les enfants. Les enfants qu’il va bien falloir nourrir, même si les hommes ne rapportent rien.

Nous nous organisons : les femmes mûres, moi à leur tête, iront à la recherche de l’eau. Cela risque de nous entraîner loin. Nous emmèneront les enfants les plus âgés, ceux qui peuvent marcher une journée pour nous suivre et porter de menues charges. Les autres, celles qui viennent d’accoucher ou sur le point de le faire, resteront à l’abri avec les plus petits, qu’elles allaiteront. Les vieilles essaieront de trouver des graines et des racines. Elles apprendront aux petits à repérer les caches des hamsters afin de leur prendre leurs provisions. Elles ramasseront avec eux les brindilles et branchettes qui nourriront le feu. Car le feu aussi doit manger, sinon il meurt. Nous partons. Je regarde en arrière. Ma petite sœur est là, avec son gros ventre et  son corps si maigre. L’enfant attendra-t-il le retour des hommes avec le gibier, pour ne pas nuire à sa mère ? Attendra-t-il notre retour avec l’eau ? Sans eau et sans nourriture, il est possible qu’ils rejoignent tous les deux le pays des lumières. J’ai de la chance. Mon ventre est rond mais l’enfant n’est pas encore incarné. Il viendra plus tard, lorsque les troupeaux seront nombreux et l’eau abondante. Peut-être cette fois décidera-t-il de rester parmi nous. Trois déjà cette année sont partis au pays des lumières rejoindre les ancêtres à peine avaient-ils ouvert les yeux sur le clan. Ma fille aînée, que j’ai eue aussitôt après mon premier sang, sera bientôt femme à son tour, son initiation ne devrait plus tarder. Elle marche à mes côtés, portant comme nous toutes des calebasses et des œufs d’autruche évidés dans un grand filet de lianes appuyé sur le front. Cela laisse nos mains libres. Nous marchons sous le soleil pesant, à long pas amples et réguliers. Nous suivons les traces d’un phacochère. Elles sont fraiches et devraient nous mener vers l‘eau. Ces animaux ont besoin de boue, et n’ont pas leur pareil pour dénicher la plus petite flaque. Ma fille se fige, écoute attentivement. L’oiseau-guide ! Elle a entendu l’oiseau-guide ! Celui qui appelle les hommes pour les mener aux nids d’abeilles ! C’est lui, c’est bien lui. Au moins nous pourrons rapporter du miel. Il suffira, sur le chemin du retour, d’obliquer vers la droite et nous le trouverons. A moins qu’il ne décide de nous suivre, pour mieux nous montrer le chemin ensuite. L’oiseau-guide nous est envoyé par les ancêtres et les esprits. C’est pourquoi nous le respectons et ne manquons jamais de le remercier et de partager le miel avec lui. L’oiseau guide nous suit, il chante très fort, i l est pressé d’avoir son miel. Mais il nous faut de l’eau. Nous le prions d’attendre et continuons d’avancer. Les traces du phacochère sont de plus en plus rapprochées. Il court. Je supplie très fort l’esprit du phacochère de nous mener à l’eau. Je lui explique que c’est  très important pour nous. Que nous serions reconnaissantes même s’il s’agit d’une toute petite flaque. Nous  apercevons au loin un gros bouquet d’arbres, presque une forêt. Nous pressons le pas, le jour commence à baisser ; il faut absolument trouver de l’eau avant ce soir, sinon le Clan sera en grand danger. Nous pénétrons sous les arbres ; Les enfants sont fatigués mais nous les forçons à avancer. Pas question de se reposer, ils doivent marcher !

Nous marchons, marchons parmi les arbres touffus, attentives à rester groupées pour être moins vulnérables. Ma fille nous arrête à nouveau. Elle a l’ouïe fine. Il faudra y penser lors de son initiation et lui donner un nom qui rappelle cette qualité… Mais oui ! Elle entend chanter ! Elle entend chanter l’eau ! Nous repartons en courant, jacassant comme des folles. Les enfants nous suivent, de crainte d’être laissés. Une source ! Une source danse devant nous. Elle se déverse dans une petite cuvette, où nous trempons nos pieds avec un enthousiasme  bruyant , nous dansons, nous chantons. Les enfants se jettent à quatre pattes et boivent, boivent, boivent sans presque reprendre leur souffle. Nous sommes obligées de les arrêter ; Nous rions et frappons des mains. Le Clan est sauvé !! Nous avons de l’eau, nous aurons du miel. Demain soir, lorsque nous reviendrons, chacun pourra boire et manger. Et les hommes auront rapporté de la viande. Nous reprendrons des forces et viendrons nous installer près de la source. Je remercie les ancêtres, l’esprit du phacochère et celui de la source.

Le nom d’intronisation de ma fille sera «Source Chantante ».

Séverine L.

*   *   *
Vingt ans dans la Rome de César... 

Finalement aujourd’hui je pourrai enfin enfin me hisser sur cette paire de cothurnes dorées dont je rêve depuis bientôt une année entière.

Mon père, général estimé de César, dont il est proche, doit même revenir d’Egypte pour l’occasion, du moins c’est ainsi que ma vieille nourrice me présente les évènements, afin de m’encourager à attendre sans la terreur que m’inspire son image, ce père éternellement absent dont ma mère, je le sais, s’est empressée d’oublier la puissance dans les bras de qui elle désirait, ce dont ma mère ogresse aux appétits pléthoriques ne s’est pas privée.

Ces cothurnes, je le sais, changeront ma vie, déjà adolescente je me désespérais de ma petite taille et enfin, je pourrai avec leur aide et l’échafaudage de boucles serrées au sommet du crâne, me mesurer à un monde nouveau sur un pied d’égalité.

Avoir vingt ans à Rome est un honneur, César sera peut être présent à l’une des cérémonies familiales et il se peut que Marcus nous fasse la joie d’y apparaître aussi .

Marcus, mon secret dont la maisonnée se gausse. Il n’y a vraiment que moi pour pouvoir imaginer n’être pas trahie par les plaques de rougeur pathétiques recouvrant mon visage et ma poitrine à la seule évocation de son nom. Jeune et vaillant Marcus, je rêve de laisser derrière moi la fillette que j’étais et avoir enfin le pouvoir de régner sur ce qui sera ma maison, mon domaine et accessoirement ma vie d’épousée. Accessoirement car Marcus repartira dès notre union consommée, sur les traces de mon père en Egypte.

De mon passé je ne garderai que ma nourrice dont je ne puis concevoir l’absence. Je pourrai alors à loisir torturer mes esclaves à la façon de ma mère et faire régner la terreur délicieuse du pouvoir.

Ah ces cothurnes dorées, légères malgré leurs plate-formes vertigineuses seront la solution à toutes mes hésitations et doutes d’adolescente, je ne garderai en fait du jour de mes vingt ans que ce souvenir d’élévation, le reste n’est qu’accessoire !

Diana W.

 

Tag(s) : #avoir vingt ans, #Textes de l'atelier
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