Après lecture des descriptions de Truman Capote
La place devant moi étalait sa blancheur implacable, sa chaleur de friture. L’air brûlant de fièvre éclaboussait toute possibilité de pensée calme et logique. La chaleur torride, tropicale, sans pitié, sans recours et je mesurais à loisir les mètres me séparant de l’autre côté, de là où il devait apparaître comme le taureau déboulant assommé de malheur et hébété. Comme le taureau pour le sacrifice social et impitoyable dont il était devenu le symbole.
La ville entière retenait son souffle, aucune feuille ne bougeait, la vie elle même se retenait de respirer car chaque respiration pouvait enclencher un spasme, des sanglots, une douleur mal retenue, une angoisse ivre de liberté s’échappant tel un souffle entre des lèvres entre ouvertes , sur la joie , Non, sur la peur et l’anticipation du malheur à venir.
Il était en route pour faire face à son destin;
Il était en marche vers la prise de conscience.
Il était entrain d’arriver dans l’arène qui galvaniserait ses forces et inspirerait aux spectateurs que nous étions la fascination que provoque un sacrifice humain.J’ai souvent essayé par la suite de donner un sens à ce rendez-vous de midi au soleil brûlant et asséchant, à la pesanteur de destin, à la blancheur sacrificielle et sacrée de cette fournaise. Je n’ai rien pu changer, ni mentalement ni sentimentalement, ni même romanesquement à cette impression de prédestination.
Il allait apparaître.
Il allait traverser la place.
Il allait mourir !
Pourquoi ?
Peu importe le pourquoi, cette certitude n’en avait que faire. Chacun de nous présent sur cette place à cette heure de chaleur et terreur blanche, avait une raison d’être présent , juge et sacrificateur à la fois, connaissant sa propre vérité et ce qu’elle pourrait avoir en commun avec celle de l’autre;
qu’importait si elles étaient en harmonie, vérité, raison et condamnation.
La vérité … la vérité était simple, dans cette atmosphère irrespirable il avait rendez-vous avec sa mort car nous l’avions ainsi décidé;
La vision de cette place où tous nous nous tenions, acteurs placés par un metteur en scène omniprésent, cachant sous des semblants de normalité un tribunal ayant irrémédiablement condamné celui qui va mourir.
Celui qui vient à notre rencontre. Celui qui débouchera sur la place. Celui que nous n’avons pas voulu comprendre. Celui qui aurait pu s’expliquer. Celui enfin que nous n’écouterons jamais. Je déglutis ma première gorgée de limonade glacée et attendis.
Diana W.
Une photo polaroïd, cela se faisait beaucoup à l’époque, le magique polaroïd nous émerveillant. elle y apparaissait heureuse et lumineuse, absorbant les rayons du jour comme seule sa peau le savait faire. Elle et l’autre, celui dont il avait toujours redouté la confrontation et lui, ne souriait pas, non, il lui tenait le bras d’un air de propriétaire heureux qui le chavira.
Rien d’inattendu, plutôt quelque chose de convenu mais les ondes de choc le parcourait, l’anéantissaient, elle était donc proche de lui. Pourquoi cela le bouleversait -il tant ?
Il n’avait jamais eu de pensées possessives à son égard mais le fait d’avoir sa clé, d’avoir la confiance de son intimité lui avait conféré un sentiment d’appartenance à son univers.
Elle sourit sur le cliché irradiant la joie et le bien être.
Elle le regarde, lui, et se penche sur son épaule contre lui, l’autre, celui qu’il n’était plus.
Diana W.
Ce matin-là, le vent soufflait gaillardement, poussant joyeusement dans le ciel d’azur de gros cumulus joufflus et rebondis. L’air était léger, il invitait à danser dans l’herbe fraîche qu’ils foulaient pour prendre la voiture. Mais le temps leur manquait, il fallait partir.
Bien blottie à l’avant - la place du mort songea-t-elle - elle scrutait attentivement le paysage de cette riche campagne de fin d’été qu’ils traversaient.
L’intimité des vallons encore enveloppés des brumes matinales, les futaies altières que la route dévorait, les crêtes arrondies et bleutées dans le lointain, tout cela portait à la réflexion, une réflexion calme et paisible sur l’indifférence de la nature à ce qui se passait sur la terre, chez les hommes. Une totale indifférence à sa tristesse à elle, qui ne concernait bien qu’elle seule.
Pour ne pas arriver trop tôt, ils firent une halte tout près du terme de leur voyage. C’était un bois de bouleaux frémissant dans le soleil. Les longs rayons dorés frappaient gaiement les troncs griffés à la blancheur candide, taquinaient les feuillages frissonnants. Les mousses épaisses et denses, scintillantes de gouttes de rosée, étouffaient les bruits paisibles de la ferme toute proche.
Le parfum, si familier pour elle, des fougères encore humides de la nuit faisait revivre mille souvenirs. Elle se sentait bien dans ce bois que, étant enfant, elle avait mille fois parcouru en tous sens, toujours avec une joie profonde, l’oreille aux aguets, à l’écoute d’indices : une fuite dans les broussailles, une chute, le cri d’un animal … Le chemin qui fuyait là devant elle, serpentant dans la bruyère mauve et rose, elle le connaissait par coeur ; elle aurait tant aimé, maintenant, tout de suite, en arpenter les méandres et, chaussée de grosses bottes, sentir les feuillages résister le long de ses jambes. Une dernière fois. Aujourd’hui, elle aurait voulu ne jamais quitter cette merveilleuse fête de la nature : le renouveau du matin, la renaissance de chaque jour, la vie de la forêt enfin.
Pourtant cette beauté lui sembla soudain si lointaine, si impersonnelle qu’elle essaya d’y rester insensible. Ce matin, n’est-ce pas, à quoi bon rendre hommage à une harmonie si parfaitement étrangère à sa peine…
Un bref « Bon, allons-y ! » mit fin à cette réflexion d’une banalité dont elle ne serait pas crue capable.
La gorge nouée, elle sut que l’heure qu’elle redoutait avait sonné. Plus jamais, elle n’entendrait le rire de son frère, plus jamais sa voix enjouée. Cette fois c’était vraiment fini, terminé. Il ne raconterait jamais plus de nouvelles aventures. Seul le souvenir le ferait vivre encore.
Dans une heure, quatre hommes aidés de larges lanières feront descendre son cercueil sous la terre devant une foule aux yeux humides.
Face à l’épreuve qui l’attendait, celle des mines affligées, des simagrées de circonstance, oui, en définitive, elle préférait franchement l’émotion réconfortante causée par la magnificence de la forêt.
Fredaine