En se crispant vers le large, les ondes palpitantes abandonnent sur la grève mille trésors que les enfants s’empressent de découvrir tandis que les plus grands marchent dans l’eau fraîche. Là, sur le sable argenté, tu remarques une forme allongée, blanche comme de la craie. Mais oui, c’est un squelette de seiche ! On te reprend : cela s’appelle un os de seiche et non pas un squelette de seiche ! N’est-ce pas un peu la même chose ? Enfin, va pour « os » de seiche.
Généralement les seiches que l’on trouve sur cette plage sont aussi grandes qu’une main d’adulte. Mais celle que tu as découverte aujourd’hui se blottit exactement dans le creux de ta main de petite fille. Tu caresses avec émotion cette forme oblongue merveilleusement pure qui semble avoir été conçue pour toi seule. Tu regardes avec attention l’étrange objet venu du fond des mers : composé d’un seul bloc, il est pourtant constitué de deux parties. Celle qui soutient sans doute le dos de l’animal est une carapace très fine, fragile, dont la tranche - si elle se brise - est très coupante. Ce dos protège l’autre partie, un ventre délicieusement bombé, si tendre qu’en voulant l’effleurer tu l’as égratigné… la poudre de craie, sous tes ongles, vient bien de là !
Tu te réjouis des sculptures tu vas faire dans cette matière si facile à travailler. Un autre coquillage ou un petit morceau de bois flotté feront l’affaire, faute de canif. Tu as décidé de transformer ton os de seiche en navire. Le dos figure la coque, dans l’intérieur que tu creusé avec application il reste un banc pour le capitaine et un support dans lequel tu piques résolument une plume de mouette, qui devient aussitôt la plus belle voile de toute la Bretagne. Mis au port, c’est-à-dire au bord d’une flaque d’eau limpide retenue par les rochers, le navire attendra que la mer remonte pour prendre le large. Entretemps, courbée vers le sable, de coquillage en coquillage, de rocher en rocher, tu reprends la chasse aux trésors.
Tout à coup, tu cries : « Aah ! Un crabe, j’ai peur ! ». Juste à tes pieds, un petit crabe vert, aux yeux exorbités et luisants, pinces dressées vers le ciel, vient de quitter son abri, le gros caillou que tu as retourné. A vive allure, il se lance en diagonale dans la traversée de la plage humide. Pourquoi ne marche-t-il pas comme tout le monde, droit devant lui ? Pourquoi diable s’échappe-il en biais, en te fixant de ses yeux diaboliques ? Tu es terrifiée, tu voudrais partir en courant. Mais une grande ombre te rejoint. Tu t’arrêtes aussitôt. Immobile, tu aperçois de longues, interminables jambes d’homme, toutes blanches et, sous la chemise qui flotte dans le vent, un torse nu plus blanc encore. C’est ton cousin. Comment peut-on être aussi blanc en plein mois d’août ? penses-tu une seconde, vite interrompue par sa voix rassurante : « Grosse bête, tu ne crois pas que ce minuscule crabe a encore plus peur de toi que toi de lui ? Tu peux même l’attraper si tu fais bien attention. Regarde : tu approches la main de son dos, oui, comme ça et, entre le pouce et l’index bien écartés, tu saisis la carcasse. Elle te piquera un peu le bout des doigts, mais le monstre ne bougera plus, tu pourras même le regarder de près. » Sans lever le nez, pour ne pas avoir l’air trop sotte, après avoir pris une profonde respiration, tu t’exécutes. Aïe oui, ça pique un peu les doigts, mais tant pis, tu es brave, ton honneur est en jeu. C’est parfait : tu as réussi ! Fière de ton exploit, tu tends le bras vers le grand cousin pour lui montrer le petit crabe captif, toutes pattes hérissées. Puis tu déposes ton trophée dans la flaque d’eau claire à côté du navire que tu as fabriqué dans la seiche.
Tu es songeuse : oseras-tu dire au cousin qu’il est vraiment aussi blanc que l’os de seiche ?
Fredaine