Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Textes de l'atelier d'écriture de Marine V.

 

MA BULLE

 

Pendant longtemps j'ai écrit au café échappant à l'ambiance familiale, la chambre partagée avec un ou deux petit frère ou sœur. En fait le seul endroit qui m'inspirait : le café, là au milieu des bruits étrangers inconnus. Enfin je pouvais penser, sentir, écrire, isolée dans la foule, protégée de moi-même aussi tout-à-coup. Un dialogue intérieur survenait, unique entre mon carnet et moi. Le bruit des conversations, les cliquetis habituels m'enveloppent, me bercent, me protègent : là je ne suis personne et j'entends enfin ma voix intérieure. Sans doute, outre les cafés, ce qui m'inspira à Rome fut différent. Pas la piazza dei Monte, pas le Vatican ni la via Appia Antica, ni les multiples San Sebastian presque nu et sanguinolent, bardé de flèches à vomir dans les musées ou les églises ni les fresques de Saint Zenon, non : au Coliseum, pas les colonnes brisées, mais les coquelicots au milieu des pierres, l'odeur de l'herbe et le ronron ambiant lointain, rassurant des touristes ? Non des passants indifférents que j'ignore pour me rassembler assise sur le rebord d'une tombe. Je dois me défaire d'une peau, retrouver une chaleur, des odeurs, des couleurs et des chats dormant librement à l'ombre des herbes sauvages et m'envoler sereine pour me rejoindre.

 

Voilà mes lieux privilégiés. Je commence souvent en regardant un voisin, un son original et peu à peu associant à mes souvenirs je démarre. Mais tous les cafés ne sont pas valables : je dois n'y rencontrer personne de connaissance et m'y oublier moi-même. Il fut même un temps, quand, écrivant mon journal en pension, la veille de mes quinze ans, je dus me réfugier de nuit à la lueur du clair de lune, à l'insu de la bonne sœur qui ronflait dans sa cage de voiles blancs, sous la lucarne des toilettes ! Quel romantisme !

 

        

COMME LA FOUDRE

 

Il y avait déjà une bonne ambiance quand nous sommes arrivés, ma sœur, son fiancé et moi. Françoise, l'hôte des lieux, récitait un poème de Prévert : "Dans ma maison qui n'est pas la mienne" ou "Les enfants qui s'aiment" ! Puis les blues et les boogies woogies refleurirent et tout le monde dansa. Depuis la mort brutale de son père, sa famille avait dû emménager dans ce quartier, si excentrique pour nous : vers la zone, le vingtième arrondissement je crois, enfin treize ou quatorze stations de métro tout de même de chez nous. C'était déjà une expédition. Tout de suite son jeune frère m'accapara, c'était charmant, bon enfant. Il s'agissait de sa bande de copains de toujours et de bateau, mais moi j'étais la petite sœur de son amie. Que ma sœur me traîne là-bas, c'était déjà une prouesse. La fête battait son plein, quand soudain, au détour d'une danse, je sentis qu'un regard ne me lâchait pas:  un homme qui venait d'arriver, assis sur le rebord de la fenêtre ouverte sur la nuit, sans cravate et en vieux pantalon de velours côtelé entre bronze et vert de gris, coiffé comme on disait alors "à la saint Germain - des - Prés"(frange courte sur le front) me regardait. Quand la danse s'arrêta, il vint m'inviter m'arrachant presque au petit frère qui ne m'avait pas décollée depuis mon arrivée.

         En fait je l'avais déjà rencontré un an, non plutôt deux avant, sur les bords de la Marne, dans une guinguette. Deux bandes de bateau s'étaient trouvées là sans se connaître et à ma grande surprise, ce même garçon, au style qui alors me surprenait et déplaisait autour de moi, lâcha son groupe pour me chercher, moi, pour danser, la seule de ma bande, le seul de la sienne. Pendant quelques minutes nous dansâmes, très serrés l'un contre l'autre presque joue contre joue, sans un mot, à ma grande confusion. J'avais dix sept ans. Imaginez ma timidité, ma gêne. Je n'en sus pas plus alors. Mais depuis, j'appris que les deux bandes avaient pactisé et même que Françoise était amoureuse de lui. C'était d'ailleurs pour l'appâter qu'elle donnait cette soirée.

Après quelques danses, nous allâmes, isolés, vers la fenêtre. C'était un décor fantastique, digne des films en noir et blanc de l'époque de Carné, Prévert et Kosma comme "Les portes de la nuit". Enfin il parla :"Comment t'appelles-tu ?" mais vite il ajouta " Je dis tu à tous ceux que j'aime." C'était gagné. Nous ne nous quittâmes plus de la soirée, mais quel scandale ! Le petit frère, le fiancé de ma sœur, tous les intimes de Françoise cherchèrent à m'inviter, à m'écarter et me faire disparaître. Seulement voilà : nous étions sur notre petit nuage. Je ne vis rien et lui non plus. Je ne compris rien, fascinée par ce regard d'homme sur moi (même s'il n'avait que vingt deux ans). Il m'expliqua qu'il avait hésité à venir, n'aimant pas ce genre de soirée. Mais lui, travaillant toute la semaine, il passait le week-end à sculpter dans un atelier prêté. Il me fit même remarquer la poudre blanche de la pierre dans ses cheveux et n'était évidemment pas amoureux de Françoise, ne se doutant de rien. La soirée tournait au vinaigre : ma sœur me faisait les gros yeux, décidemment je ne savais pas me tenir, Françoise carrément la gueule et son frère râlait dans son coin.

Alors nous sommes partis tous les deux, silencieux mais parfaitement tranquilles peut-être même sans saluer personne, dans la nuit - un drame -traversant Paris à pieds. A l'aube, place de la Concorde il me dit :"Mais alors tu es une fille de bonne famille !" Nous sommes partis d'un éclat de rire, mais d'un fou-rire ! Et il ajouta :" Est-ce que c'est un péché de t'embrasser place de la Concorde à l'aube ?" C'était la première fois.

Françoise ne me pardonna jamais.

 

Du rire aux larmes….

 

Depuis trois semaines je me préparais à me rendre à une invitation fabuleuse : une garden-party au mois de Mai à Paris dans un hôtel particulier. Invitée toute seule. C'était merveilleux et de plus j'avais obtenu l'autorisation parentale ! Trois semaines pour préparer la robe longue, le maquillage, la coiffure et mon esprit en fête !

Mais voilà, deux jours avant, on sonne à la porte frénétiquement. De la lointaine cuisine, car il est midi et quelques, ma mère court ouvrir, ma grand'mère s'essuie les mains sur  le ventre, j'arrive avec mes deux sœurs : en face de nous, la concierge blême, essoufflée avec ses grosses lunettes humides, les joues tremblantes, éructe :"Madame, madame, monsieur par terre, l'ambulance vite, vite ils vont l'emmener." Elle bégaie. On se regarde, le chat file dans l'escalier, ma mère à sa suite en chaussons, ma grand'mère me jette dans les bras son tablier, mon petit frère gémit et nous les filles, on se regarde, paralysées. Soudain je me jette contre la double porte palière, j'ai compris et si loin de la jeune fille en robe du soir élégante, je hurle comme un bébé : "Papa, papa"en donnant des coups de poings dans le chambranle. Alors on court vers le balcon, là en effet nous voyons deux jeunes gens affalés sur un banc interrogés par la police. L'ambulance part en fanfare. Papa n'est plus là. Emporté ? Dans quel état ? Et des agents mesurent le sol, les distances, entre les arbres, les voitures, une moto : on ne comprend rien. Je les déteste. "Circulez y a rien à voir."

Dans le silence, nous sommes sonnées, mécaniques, ma sœur aînée pragmatique nous entraîne vers la cuisine :" Mangeons, dit-elle, on va en avoir besoin." Au passage dans le couloir par la porte ouverte de ma chambre, j'aperçois, amnésique, ma robe de moire qui se balance suspendue au plafonnier. Une autre robe, de communiante celle-là, ondule également au lustre du salon pour ma petite sœur dans quelques jours : ça n'a plus de sens. Il s'est passé quelque chose de très grave que nous retrouverons au Val de Grâce pendant quelques semaines.

Il n'y eut plus jamais de garden-party.

 

 

LA GAFFE

 

Au moment de sortir après cette explication raisonnable, car franchement elle l'assommait ferme, son regard fut accroché sur le coin de la cheminée par une photo. En noir et blanc un visage très connu d'un homme svelte, souriant, mais habillé d'une façon vraiment démodée avec un large paraphe en travers. Il eut le temps de capter la dédicace (en fait il n'était pas très ému) "A ma tendre, ma petite fille chérie." Non ! Ce n'est pas vrai. Son grand-père ? Le Président X ? Oh non, ah c'est malin, je viens de rompre.

 

SECRET d'ALCÔVE

 

_Voilà trois jours qu'elle m'empoigne. Je suis presque vidée depuis quelque temps, elle se sert de moi sans toi ? C'est un monde ça ! Que se passe-t-il ?

_ Eh bien ma vieille, moi elle ne me touche presque plus de moi, alors ne te plains pas. Avant j'avais droit à des égards et des nettoyages raffinés. Elle admirait mes reflets dorés et ma musique cristalline et puis en effet, depuis quelque temps, je suis aux oubliettes ou presque. Toi au moins elle te goberge assez souvent, tu brilles, tu exultes. J'ai comme une idée qu'elle t'utilise pour quelqu'un d'autre !

_ Non pas possible. Je suis là depuis des lustres à côté de son lit sur la table de nuit, quand j'ai remplacé la vieille toute grisâtre qu'elle n'arrivait plus à rendre transparente. C'est alors qu'elle m'a trouvée dans une brocante où je m'ennuyais ferme d'ailleurs. Elle a hésité, mais mes enluminures proches des tiennes l'ont décidée. Et j'avoue que j'ai été très flattée de te rencontrer, car je n'avais pas de chapeau et personne ne voulait de moi : c'est toi, ancien, cannelé et en cristal qui m'a coiffée. Quelle promotion pour ma modernité, toi le souvenir de sa meilleure amie !

_La revoilà. Cette fois elle me prend dans ses mains et m'offre un peu d'eau. J'ai cru qu'elle m'oubliait, mais quoi ? Ce n'est pas pour elle, je n'ai plus droit à ses baisers ?

En effet, depuis quelques semaines les habitudes ont changé. Igor le grand chat noir a une nouvelle manie. Maintenant il demande à boire à l'étage dans la chambre à coucher : chaque fois que sa maîtresse veut boire, il réclame avec force grognements et crissements sourds qu'elle le serve aussi. Alors le verre ne sert plus aussi souvent. C'est la carafe qui s'écoule directement dans une coupelle par terre où le chat se délecte ; et qu'il soit dix heures du soir ou dans la nuit, si elle se lève par malheur, rebelote : Igor descend du lit et a soif. Et la carafe de plonger vers le sol sans souci pour le verre qui semble oublié.

Pourtant, tout n'est pas perdu. Maintenant le matin, elle boit un grand verre d'eau qu'elle partage avec Igor au réveil et tout le monde est content. Il paraît que c'est bon pour la santé !

 

Marine V.

Tag(s) : #Textes de participants, #Marine Vallerie
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :