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En avançant  en âge, elle s’interroge : De quel humus est elle pétrie ? Où a-t-elle pris racine ? Quelque part à l’ouest, sur une côte frappée par le vent, se trouve la maison de famille ou plutôt le pays de ses origines. Y retourner n’est pas sans la troubler, ce lieu est tissé de tant de souvenirs. 

            Elle a vingt ou trente ans, elle ne sait plus très bien. Sa R5 tout schuss l’y a emmené tant de fois. Elle se souvient : A chaque fois, quelques kilomètres avant, l’impatience la gagne, elle abaisse vigoureusement  la fenêtre pour humer l’air marin et s’exclamer : la Mer !! La super5  poursuit sa route, traverse le bourg à la nuit tombée, longe le port, vérifie la hauteur de la marée et passe en seconde pour monter la dernière cote.

            En haut de la corniche le portail est toujours ouvert, l’imposante silhouette se dresse sur la falaise. Cette villa a été construite lors des premiers bains de mer. Le grand-père l’a acquise en 1933.Les allemands l’ont occupée pendant la guerre. Son père en épousant sa mère a adopté la maison. Sur une de ses plages ils ont envisagé de la faire naître.
             Deux grandes baies vitrées donnent sur la mer. Au rez-de-chaussée une barrière de sapins leur gâche la vue, il faut monter au premier étage pour admirer par beau temps l’île de Jersey. Heureusement une tempête a fait son œuvre, en 1986 les sapins se sont effondrés dans un grand jeu de dominos. Depuis ils voient au loin et de partout. Ses grands-parents ont choyé cette maison, une haie de tamaris masque la clôture de ciment jaune, un beau massif d’hortensias borde le mur de pierre. Le dimanche la famille joue au croquet devant la pelouse sous l’ombre des pins, sur le portique rouge elle se balance, un délicieux vertige la saisit lorsque son pied effleure la plus haute branche ! Deux fois par an rituel immuable, obligatoire, la photo de famille : le grand-père photographie sa descendance l’été sur les marches de la terrasse en file indienne, l’hiver sur le canapé du salon en rang d’oignon.
          Au petit déjeuner leur grand-mère fait griller du pain de mie dont elle enlève délicatement la croute. Ce parfum matinal monte jusqu’aux petits lits perchés au dernier étage. Délogés par l’odeur familière les enfants dévalent l’escalier pour avaler leur Ricoré. Mal réveillée, le pouce  encore dans la bouche elle descend la dernière. Le petit déjeuner à peine achevé leur grand-père propose un tour dans sa 2CV. Frères, sœurs, cousins, cousines s’entassent à l’arrière. Elle, la petite, se cale sur les genoux du plus grand. Le béret sur la tête, le chauffeur a fière allure au volant, toute sa marmaille derrière. En roulant sur le front de mer, il joue à leur faire peur, le coffre de la 2CV résonne de leurs cris aigues. 
             Dans la mémoire de son enfance, se cache une jolie photo. Ses grands parents posent au bas des marches de la terrasse. Tous les deux sont vêtus de bleu marinière. Son grand-père semble un peu las derrière ses lunettes, il entoure de son bras les épaules de sa femme, elle lève son visage vers lui. Elle, leur petite fille aime les regarder ainsi, elle savoure la tendre intimité qui se dégage de ce cliché. Elle n’en doute plus. Leur douce empreinte est au creux de ses origines. 
            Ce lieu tant chéri, ils ne l’ont jamais quitté, ils ont emménagé un peu plus loin, du coté de l’église. De là où ils demeurent, ils contemplent toujours la mer.   

Françoise L.
 

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