Au cours d’un séjour solitaire en novembre en Bretagne, les jours s’effaçant précocement au profit de la nuit, rencontre surprenante d’un personnage de roman dans un café banal, où m’avait invité mon loueur de gîte.
J’avais attisé sa curiosité en le questionnant sur les gens de ce coin de mer, en particulier sur la vie d’un gardien de phare, ce métier m’ayant toujours intrigué par sa dureté surtout pour ceux isolés en pleine mer.
Présentation faite du personnage ‘’Antonin’’ dans ce café où se côtoyaient des pêcheurs d’âge variable.
Antonin me serra la main, mélange de rugosité et de callosités, le visage éclairé d’un léger sourire, buriné, de gros sillons encadrant sa bouche, les lèvres gercées, un liseré laissant deviner des yeux bleus, vifs, brillants une expression de douceur se dégageant de ses traits.
Vêtu d’une vareuse bleue, le col un peu élimé, dont les pointes se relevaient, un pantalon du même tissu et des chaussures noires usées, parsemées de taches blanchâtres.
Je devine que le personnage apprécie qu’on l’interroge sur sa longue vie de gardien de phare.
Antonin se met à parler doucement, son regard s’anime…
Son père avant lui, a exercé ce métier. Très jeune, il l’accompagnait les week-ends de garde, et très rapidement ce métier l’a envoûté.
La première fois enfant, souvenir ineffaçable de la montée au sommet du phare, une vue qui l’a laissé le souffle coupé, la mer à perte de vue, sillonnée par des bateaux patte de mouche dans cet océan, bateaux de croisière éclairés de mille feux, bateaux de commerce, tankers gigantesques.
Il m’explique qu’à chaque montée de phare, son cœur se mettait à battre la chamade, tous ses sens en éveil et une émotion profonde le submergeait…60 ans de métier !
Sa vie, il l’a aimée profondément, très fier d’assumer un rôle de responsabilité, l’ange gardien des gens de mer.
Mariage très jeune, 20 ans, heureux, espérant communiquer sa passion à sa femme qui malheureusement de santé fragile, a eu des difficultés à supporter cet environnement parfois hostile.
Naissance d’une fille, dans les premiers temps, sa femme souhaitait rester à terre, invoquant les conditions très rudes de la vie dans le phare pour un nouveau-né.
Le bébé était un bon prétexte !
Respectueux, mais désorienté par le choix de vie de sa compagne, il profitait de sa famille ses jours de repos.
De temps à autre, les week-ends de garde, sa femme et sa fille le rejoignaient, ‘’le bonheur pour lui’’ le lieu aimé avec sa famille.
Sa petite fille dès son plus jeune âge, suivait son père pas à pas, passionnée, le harcelant de questions sur le fonctionnement du phare…
L’accompagnant sur la coursive qui ceinturait le phare, elle tentait d’apprivoiser les mouettes ou les cormorans, parsemant sur le sol des miettes de pain, leur parlant, tentant de les caresser…
Chaque fin de week-end s’accompagnait de séances de larmes, Pascale trépignant, souhaitait demeurer dans le phare avec son papounet.
Mais l’école pour Antonin, était une priorité, ayant lui-même été très affecté par son manque d’éducation, compensé par sa passion pour la lecture que lui avait inculquée un instituteur.
Ses soirées solitaires occupées par la lecture, le transportaient dans des univers d’aventures, de passions, de mondes inconnus.
Sa fille venait d’atteindre sa douzième année, sa femme fut atteinte d’un cancer, qui l’a emportée en quelques mois.
Douloureuse période mais sa passion pour son métier, lui a permis de surmonter cette perte. Sa perle de petite fille lui témoignait un amour inconditionnel.
Ainsi s’installa une autre vie, veillé par son adorable Pascale, qui dès que l’internat la libérait, week-end ou vacances, bondissait pour le rejoindre dans le phare ses jours de garde.
La solitude, un sentiment qu’il a toujours aimé, comme les éléments se déchaînant par temps de grosses tempêtes, le bruit du vent s’infiltrant par tous les interstices de la tour, les vagues déferlantes venant cogner les rochers, les embruns émettant un grésillement.
Les jours s’égrenaient lentement, les années avançant comme un train à grande vitesse, le sourire aux coins des lèvres, il émit un petit soupir.
Sa fille passionnée par ses études, après le lycée avait entrepris des études supérieures très brillantes…Me décrivant le parcours de sa fille, je voyais son visage s’illuminer de fierté !
Puis, me dit-il, avec mélancolie, l’heure de la retraite a sonné… ajoutant : j’ai aimé ce phare avec passion, mon cœur battait au rythme de cette lumière balayant les eaux et la terre ferme.
Anne P.