Destination inconnue
J’allais rater mon train, c’était sûr !
Je courre, j’arrive essoufflée sur le quai, voie 21.
A peine montée, il démarre… il était temps !
Il n’y a presque personne, c’est étonnant à cette heure-là.
Je m’assois près d’une fenêtre, je reprends mes esprits petit-à-petit.
Je regarde distraitement le paysage qui passe par la fenêtre à très grande vitesse semble-t-il.
J’examine le panneau où défilent normalement les noms des gares où le train doit s’arrêter. Il ne fonctionne pas. Il n’y a aucune indication.
Le temps passe, aucun contrôleur ne se présente.
Au bout d’un moment, je ne reconnais pas le trajet habituel. Inquiète, je me lève et me dirige vers un monsieur qui lit son journal dans le fond du compartiment. Je le salue et lui demande s’il connaît la destination de ce train. Il pose son journal et me regarde avec un air étonné et quelque peu moqueur, il me dit : « Mais Madame, je ne sais pas, vous savez bien que c’est un train spécial à destination inconnue, vous n’êtes pas au courant ? C’est le train du hasard, de notre destin, nous sommes embarqués dedans presque à notre insu. Je ne sais absolument pas où et quand il s’arrêtera. Vous comprenez, c’est le train de notre vie que nous croyons gérer, mais c’est une erreur, ce train nous emporte, nous entraîne vers ce qui nous attend et que nous ne connaissons pas.Prenez patience, Madame, et ayez confiance, c’est tout ce que je peux vous dire. »
Je le regarde effrayée, que m’arrive-t-il ? Je ne voulais pas de ce train-là, moi, je me suis trompée de train.
Tout d’un coup je me réveille en sursaut. Je suis en sueur. Je venais de faire un cauchemar !
Objet trouvé
J’attendais mon train à la gare Montparnasse en direction de Nogent-le-Rotrou et j’étais un peu en avance.
Un siège était libre devant le magasin de presse. Je m’y assois et en baissant les yeux, j’aperçois sous le siège en face de moi, occupé par un homme âgé, un livre ; je le ramasse et le tends au monsieur, pensant qu’il l’avait fait tomber. Il me remercie et me dit que ce livre ne lui appartient pas.
Je reprends le livre, l’examine et je découvre que c’est un Marcel Proust, le deuxième tome de « A l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Moi qui suis proustienne depuis mon adolescence, je suis quelque peu étonnée que l’on puisse égarer sous un siège de gare une telle merveille. Je le regarde de plus près ; c’est la collection brochée des éditions Gallimard, dont il fallait séparer chaque feuille avec un coupe-papier, comme celle que j’avais acquise dans les années 1950 avec mon argent de poche ; je me souviens très bien de cette opération délicate qui renforçait, à mes yeux, le mystère de la découverte proustienne à chaque page.
Ce livre était évidemment ancien, jauni par le temps comme les miens et sentant encore un peu la poussière d’une vieille bibliothéque.
Je l’ouvre et remarque de nombreuses annotations et soulignements comme je faisais à l’époque.
Mais il n’y a pas le nom du lecteur ou de la lectrice, ni de date de lecture.
Je décide de recueillir ce livre très respectueusement avec l’intention de le placer avec ses frères et sœurs dans ma bibliothèque.
Pascale G.