C’est tout ?
J’attends. Depuis hier au soir les contractions n’arrêtent pas.
Et je suis là, comme une baleine échouée sur ce lit d’hôpital. J’attends le verdict du médecin, la venue de ce bébé, dont on suppose que ce sera une fille sans en avoir encore la certitude.
Un froissement d’étoffe dans le lit d’à côté : ma voisine ne sait plus quelle position adopter, elle se tourne et se retourne entre ses draps. Encore. Et encore. Et encore…
Côté couloir, les roues caoutchoutées des chariots chuintent sur le lino. Un rire. Un rire vite réprimé, mais qui fuse de plus belle pour avoir été contraint. On pouffe. Puis des gloussements hilares qui lui font écho.
Des tintements de vaisselle, des couverts métalliques contre du pyrex. Un bol ? Peut-être le petit-déjeuner…
La femme qui pousse le chariot doit être éreintée, ses savates exténuées traînent sur le sol comme celles d’une très, très vieille personne. Sa collègue, elle, doit être en pleine forme si j’en juge par le claquement joyeux et décidé de ses sabots.
Un coup bref à la porte : « On va vous changer de chambre ».
Mon lit se met à trembler, à tourner, à cogner. Le caoutchouc glisse sur le sol en couinant légèrement.
Je me tords de douleur, les contractions sont de plus en plus rapprochées, au point de n’en paraître plus qu’une seule avec de brefs secondes de pause, histoire de reprendre de l’élan. Je commence à haleter comme un petit chien, ainsi qu’on me l’a appris. Puis je cale ma respiration sur le crissement des roues, nous entamons un duo.
J’arrive dans une pièce. Seule. Mes accompagnateurs me laissent « Vous êtes juste à côté de la salle de travail. »
Dans la pièce à côté, des cris : « Je n’en veux plus !!! Je n’en veux plus ! Enlevez-le ! Y a qu’à le rendre à son père ! »
Le souffle coupé, j’écoute la révolte et la douleur de la parturiente.
Elle crie maintenant dans une langue que je ne comprends pas.
Puis de nouveau exprime son rejet, sa colère contre l’homme « qui lui a fait ça ».
- Mais taisez-vous donc, s’agace la sage-femme, vous allez faire peur à vos camarades !
Et le bruit d’une claque sur une cuisse. La femme pousse un petit cri, puis se met à gémir.
Maintenant elle pousse, j’entends ses efforts.
Un grand silence. Qui se prolonge. Et de nouveau, sa voix: « J’ai faim ».
Puis son rire « Il est si beau, il est trop beau, allez chercher son père ! »
La porte s’ouvre. La tête hirsute du médecin se glisse par l’entrebaillement. « On ouvre » me dit-il.
Ce sera donc une césarienne.
Ouf ! Au moins, je n’y serai pas !
Rencontre
Je me promenais tranquillement, ma fille de deux ans « et demi » dans les bras.
Nous devisions joyeusement, comme seules peuvent le faire une mère et son presqu’encore bébé, échangeant sur ce que nous voyions, nous chantonnions avec conviction des petites comptines sans queue ni tête, juste pour le plaisir du rythme et des sons.
Je goûtais fort la sensation contre moi de ce petit corps dynamique et doux, tonique et pourtant si abandonné.
Vint à passer une charmante femme, que je connaissais de vue pour être l’épouse d’un collègue.
Après les salutations d’usage, nous commençâmes à deviser, parlant de tout et de rien, de notre travail, de nos enfants, un de ses fils ayant l’âge exact de ma fille.
La petite, peut-être un peu agacée de ne plu être mon unique centre d’intérêt, commença à s’agiter dans mes bras.
Puis elle toucha mon interlocutrice sur le bras, remonta jusqu’au visage. Elle me regarda, l’air interloqué. Elle tendit les deux mains vers les cheveux, je l’arrêtai dans son geste.
« Non, Poussinette, tu laisses la dame tranquille. » Le sourire de ma vis-à-vis s’élargissait tant et plus, ses yeux brillaient de malice.
Comme la petite ne voulait pas cesser son manège, je lui demandai d’arrêter d’un ton ferme.
Alors, posant son petit doigt sur l’avant-bras de Madame M., elle me posa la question fatidique : « Pourquoi la dame elle est noire ? » Madame M. éclata de rire.
Prise de court, je ne pus rien répondre d’autre que « Pour faire joli ». J’en conviens, c’était idiot.
Je vis alors s’arrondir la petite bouche framboise de ma fille. Elle baissa ses yeux verts sur son propre avant-bras d’une blancheur nacrée et dit d’une petite voix tremblante : « Alors moi, j’ai pas belle ? »
Mon doux chaton, tu seras toujours ma plus belle.
Séverine L.