J'ai trouvé le répertoire de maman, bien rangé, à sa place dans le premier tiroir du bureau
à droite, juste à côté de la boite de bonbons « la pie qui chante ».
C'est un carnet cartonné, la couverture est quadrillée de rouge et bleu, des petits carrés rouge et bleu bien rangés comme le tissu des tabliers de maman. Et comme les vieux tabliers elle est un peu usée, un peu tachée. (Pas maman, mais la couverture du carnet !).
Maman est un peu vieille, un peu âgée, un peu malade, mais très entourée : La famille, les amis, les voisins, les commerçants, le médecin, le pharmacien...
Maman est un peu âgée, un peu malade, mais en apparence très ordonnée. Dans sa maison ça sent le propre, ça sent le vide et le silence assourdissant de la télé, ça sent la cire, celle de la pub : « épousseter, oui dépoussiérer, non ».
Tout est rangé, en ordre. Maman m'a demandé d'appeler la cousine Renée Larou pour la prévenir qu'elle ne viendrait pas demain au club de scrabble. Je cherche, dans le répertoire, le numéro de téléphone de la cousine. Je cherche à L, pas de cousine. Mais à L, je vois Lucienne. Lucienne c'est ma tante ou plutôt c'était ma tante..., elle est morte l'année dernière, n'empêche, elle reste joignable, au cas où ; Alors ? Renéé Laroue est peut-être à R ? Voilà, j’ai trouvé, elle est bien là, elle prend l'air.
Puis je feuillette, curieuse.
A A je trouve Albert, cet imbécile, je l'aurais mis à I; Je fais toujours la différence entre un âne et un imbécile.
Vous trouverez normal, j'en suis sure, que Madame Barouge , la femme de ménage, ait élu domicile
en F. Madame Barouge n'est-t-elle pas la Fée du logis?
Quant à Monsieur Pale, le médecin, il est en D, comme son titre de docteur lui en confère le droit. J'ajoute qu'il est dévoué, un brin distant et pas très doué, ce qui l'autorise pleinement à occuper cette page.
A M je tombe sur Grand-mère, que nous appelions tous mamy. Mamy personnage terrible, elle était infirmière, conduisait, tricotait, grimpait aux arbres, nageait en haute mer ...Mamy est morte depuis longtemps, toujours joignable apparemment, elle côtoie dans le carnet cimetière,
À L Lucienne,
À T Tante Jeanne,
A O Oncle André
À C le cousin Auguste ...
Entendez-moi, en suivant cette logique,
À G on met les gentils,
À N les méchants,
En E les hésitants,
Au H le marchand de bois,
Puis toutes les femmes seraient à L,
Et les amoureux en M.
Mais revenons au classement maternel.
Le répertoire de maman, je ne m'y repère pas et même je m'y perds mais ce foutoir m'enchante.
Mais enfin, l’ordre alphabétique, quoi de plus simple, de plus rassurant...C'est obéissant l'ordre alphabétique, ça s'apprend par cœur, on suit la route, de A à Z, on ne peut pas se tromper.
Les lettres marchent, bien rangées, l'une derrière l'autre, comme de petits soldats, une deux, une deux...Ce n’est pas bête l’alphabétique...
Bon, il faut que j'appelle la cousine Laroue.
Alberte