Au cœur de l'hiver périgourdin dans la fin d'un après-midi silencieux et gris, quand le froid et la nuit vous tombent dessus, vers les cinq heures, la mère Lachaud pose son opulent derrière sur le tabouret. A l'angle de la cour, où s'affairent encore quelques poules noctambules, la mémé s'adosse contre la porte vermoulue de l'étable. Le petit siège disparaît alors comme avalé par ses fesses débordantes. Cuisses puissantes outrageusement écartées, jupe scandaleusement retroussée jusqu'aux genoux, elle saisit l'animal par le cou, puis, d'une main ferme et experte, le loge à l'endroit le plus intime de sa personne et lui enfonce le long tuyau rigide de l'entonnoir au plus profond du gosier. Les grains de maïs s'engouffrent alors dans le long tube, la bête suralimentée n'y trouvant rien à redire. Suite à quoi, l'oie, benoîte et satisfaite repart en se dandinant lourdement, comblée, à la limite de l'overdose. Dame Lachaud rectifie alors sa position et sa tenue, elle range le tabouret et rentre à la maison, benoîte et satisfaite elle aussi. !
Et le rituel se poursuit encore quelques semaines. Enfin, la loi implacable de la fermière s'applique, le couperet s'abat sur les volailles qui seront sacrifiées par la main qui les a nourries! Sacrifiées, plumées,écartelées vidées démembrées dépecées!Un carnage.
Les foies, fermes et dodus seront, eux, délicatement extraits, examinés avec suspicion. Ils ont gardé la couleur blonde du maïs si goulûment ingurgitée. De leur surface bien lisse, s'élève une douce lumière légèrement rosée. Dans une parfaite indifférence à la beauté de la chose, on les pèse. Leur poids, (c'est tout ce qui compte) sera déclamé d'une voix de gorge, veloutée de graisse et d'orgueil.
Le travail peut maintenant commencer. Une véritable cérémonie.
Les filles de la matrone sont venues aider. L' Amélie est descendue de Tulle par la micheline de six heures et demie, La Jeanne arrive seule dans sa Juva 4, Anna est venue à pied, et il y a aussi la bru, Renée, elle habite sur place, mais ne sait pas faire,
une parisienne …
Les femmes arborent pour l'occasion , comme dans un ballet, non pas un tutu emplumé, mais une blouse de nylon bleu fleuri, courte et sans manches, toute neuve. Sur la toile cirée lustrée comme une piste de danse, une chorégraphie immuable se déroule: Ardente, vaillante, vibrante, virevoltante; et tous les gestes et déplacements s'enchaînent, rapides, rythmés, parfaitement maîtrisés.
Toutes rivalisent de savoir-faire, de tour de main, de bons conseils,...un peu plus de sel, un peu moins de poivre, Jeanne préfère l'arroser d'un verre de Cognac, Amélie y met plutôt de l'Armagnac, pour Anna c'est nature.
La bru, elle, ne dit rien, elle s'en fout, elle voudrait être ailleurs …
On dénerve, on s'énerve, on lave les bocaux, on les essuie, on rectifie l'assaisonnement, on attise le feu. Les foies sont caressés, enveloppés par les mains expertes et douces enduites de marinade, on ajoute aussi au dernier moment une pincée de sucre…On remplit les bocaux, on tasse bien.
Pierrette C.
La dernière opération sera effectuée comme une offrande, dans un silence religieux: la rondelle de truffe sombre et odorante est posée, c'est Renée qui s'en charge. Sublime!