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Ludovic, songeur, repose le téléphone sur la chaise voisine. Par automatisme, il a pris la communication de cet appareil bourdonnant là, oublié sur cette chaise. Mais ce n’était pas le sien ! Le message qu’il vient d‘entendre ne lui est donc pas destiné… pourtant la tentation le démange d’aller au rendez-vous fixé d’une brutale voix d’homme. « Je t’attends au Ranelagh. Magne-toi bon sang ! » Au moment où il se lève pour mettre son projet à exécution, le propriétaire du téléphone revient, s’empare du téléphone abandonné. Ludovic a vu la scène, mais cela ne change rien à son projet.

« Magne-toi, bon sang » a-t-il entendu. Bon, il se dépêche. Pourtant la volée de marches pour sortir du métro Ranelagh lui semble interminable ; il hésite encore, ce message ne lui était pas adressé après tout ! Est-ce bien raisonnable de se rendre au rendez-vous ? Tant pis, au diable la discrétion, les inquiétudes. J’ai envie de savoir de quoi il s’agit, conclut-il arrivé à l’air libre, un air qu’il inspire d’un grand coup, avec la satisfaction d’avoir pris la bonne décision.

Ah, voilà le café Ranelagh en question, très bien. Maintenant, reste à reconnaître l’individu entendu au téléphone. Pas le temps de se poser la question une seconde fois : un homme à la forte corpulence est assis devant une tasse de café, à une petite table là-bas dans le fond. Le ticket coincé sous la tasse montre qu’il a déjà payé. Vêtu d’un costume fripé couleur gabardine, il tient à la main un chapeau dans les mêmes teintes, posé sur la table. Ludovic le remarque aussitôt car la vue d’un chapeau posé sur une table l’a toujours dégoûté. Le manque d’hygiène élémentaire que cela suppose le choque à chaque fois. Apercevant le jeune homme à contre-jour sur le pas de la porte, le gros homme au visage rougeaud soulève discrètement - mais bien visiblement - ledit chapeau, comme pour s’en éventer. Ludovic se dirige vers lui, se faufilant entre les tables.

-C’est toi, Jo ?, interpelle la voix rauque. Pas le temps de répondre, elle poursuit aussitôt : t’en as mis du temps, t’as la marchandise au moins ?    

-Une minute, je reviens tout de suite, fait le jeune homme signifiant par ses mimiques qu’il doit impérativement se rendre aux toilettes. Et il se précipite dans l’escalier qui conduit au sous-sol, vers les lavabos. Puis, avec d’infinies précautions, il remonte une marche, puis deux, tout doucement pour voir sans être vu.

Tout à coup le propriétaire du téléphone entre précipitamment dans le café, file droit vers l’homme au chapeau mou auquel il lance en s’asseyant :

-Tu m’as appelé ? T’aurais pu laisser un message tout de même, heureusement je connaissais le lieu du rendez-vous sans quoi on se ratait ! Bon, pas grave. Tu as le fric ?

- Quoi, Jo c’est toi ? Mais alors, c’est qui l’autre ? Qu’est-ce que c’est que cette embrouille ? J’aime pas ça du tout. Ecoute-moi bien : je n’ai rien dit, tu n’as rien dit, on ne s’est pas vus. Chao.

Et le gros homme file avec une prestance inattendue entre les tables, s’engouffre dans un taxi qui démarre aussitôt. Il a disparu.       

Fredaine

Tag(s) : #Textes de l'atelier, #Fredaine, #Téléphone
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