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Nouvelle de Séverine L.

Voilà déjà trois jours que j’ai perdu le reste de l’expédition.

Trois jours, ou trois semaines, ou trois mois. Je ne sais pas.

Dans ces forêts sombres et humides, si touffues qu’on distingue à peine le jour de la nuit, on a du mal à ne pas perdre la notion du temps.

Ma boussole est folle, mon téléphone portable est mort.

Tout le reste de l’équipement a disparu avec les porteurs, disparus eux aussi.

Je ne comprends pas, nous aurions dû nous retrouver, c’est inconcevable ce qui est arrivé.

Où suis-je vraiment ? Et eux, où sont-ils ?

Dès que je serai un peu reposé et que j’aurai pu reprendre des forces avec les racines et les baies qui constituent désormais mon ordinaire, je repartirai.

Je suis sûr qu’en marchant toujours vers la gauche j’arriverai à un cours d’eau.

Il y aura forcément des habitations ou, à défaut, des embarcations.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

J’avais raison de continuer sur la gauche, me voilà arrivé dans une clairière.

Au moins il y fait jour et c’est plus facile de me repérer.

J’ai décidé de continuer mon journal de bord quoi qu’il arrive.

Si je retrouve la civilisation, au moins, je pourrai vivre en faisant des conférences, et peut-être qu’un livre sur cette aventure trouverait bon accueil.

Si je n’y arrive pas…..

Peut-être un jour quelqu’un le trouvera et comprendra alors ce qui sera advenu de moi.

Depuis que je suis arrivé à la clairière j’ai l’impression très nette d’être épié.

Mais j’ai beau être toujours sur mes gardes et scruter chaque centimètre d’herbe, de buisson ou de fougère, je ne vois rien.

J’espère qu’il ne s’agit pas de quelque terrible carnivore surveillant de près son repas.

Heureusement il reste de quoi faire du feu dans mon sac.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

J’ai dormi cette nuit malgré le danger que je sens rôder.

Je me suis mis le dos au feu de façon à ne pas être pris à revers, mais rien ne s’est passé.

J’ai fait des rêves étranges, des rêves de bulles.

Cet endroit semble sûr, finalement, je vais y rester quelques jours avant de reprendre ma route.

M’orienter, me reposer de tous ces jours de marche forcée.

Analyser rationnellement les choses et monter un plan de campagne.

Je renonce définitivement à retrouver le reste de l’expédition. Il me faut survivre, et survivre seul.

Le fleuve ne doit pas être très loin.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Je sais maintenant que ça fait trois jours et deux nuits que je suis dans la clairière.

J’ai repéré les fruits, les baies, les racines, j’y ai goûté, j’ai même trouvé une sorte de champignons qui me remplit suffisamment l’estomac.

Je me suis fait griller des larves, c’est plutôt bon, finalement, et bourré de protéines.

J’ai toujours l’impression d’être surveillé, et pourtant je ne vois rien, ni humain ni animal, qui puisse s’apparenter à un prédateur quelconque.

Pourtant c’est là.

Je continue à faire des rêves de bulles.

Quelquefois elles se posent à proximité et me regardent dormir.

C’est peut-être à cause des champignons.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Je n’ai pas mangé de champignons hier soir, et les bulles sont venues malgré tout.

J’avais même l’impression de ne pas dormir.

Ce sont des bulles étranges.

J’aurais pu les toucher, mais elles se sont envolées. Ou plus exactement elles ont disparu, se sont évaporées.

Je ne comprends pas pourquoi ce drôle de rêve me préoccupe autant, l’urgence est tout de même de sortir d’ici au plus vite et dans le meilleur état possible.

Vous qui trouverez ce journal si vous partez à ma recherche, ne mangez rien qui pousse à cet endroit.

Ce sont les bulles qui me surveillent, j’en ai la certitude.

J’ai du mal à rester rationnel, apparemment.

Peut-être que malgré tous mes efforts je suis en train de céder à la panique.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Ce n’étaient pas des hallucinations.

Je n’ai rien mangé hier soir, je n’ai pas bu, je n’ai pas dormi.

Les bulles sont revenues, elles se sont posées près de moi et m’ont regardé longuement.

Je n’ai pas rêvé, ces bulles me regardent et s’évaporent au moindre de mes mouvements.

Ce ne sont pas vraiment des bulles, on dirait des êtres.

Mais de quelle espèce ?

Est-il possible que ce soit vraiment elles que je sente toute la journée rôder autour de moi ?

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Ce matin, je n’ai pas bougé.

Je suis resté près des restes de feu, le plus immobile possible, pour voir si ces bulles allaient revenir en plein jour.

Je me suis moi-même roulé en boule, pour ne pas exposer les parties fragiles de mon corps.

Quand j’ai relevé la tête, c’était là.

Une chose monstrueuse, toute ronde.

Une tête. Rien qu’une tête, ronde comme un ballon.

Une tête aux petits yeux globuleux. Un, deux ou trois, je ne sais pas.

Des yeux tantôt petits tantôt immenses, tantôt noirs et brillants, tantôt immenses et bleus.

Peut-être suivant les émotions qui la traversent.

Une bouche énorme, qui se soulève de temps à autre sur des crocs pointus et noirs.

Une bouche qui semble déborder de la face hirsute.

Des sortes de bras en tire-bouchons qui sortent directement de ce qui ressemble à des oreilles.

Ces bras sont terminés par une sorte de pince cornée à trois doigts.

L’ensemble est très velu et parait posé directement sur des pieds, je n’ai pas vu de membres inférieurs.

Ces pieds ressemblent à des mains, un peu comme ceux des singes.

Je ne sais pas d’où sort cette créature de l’enfer, mais quand je me suis mis à hurler de terreur, elle s’est évaporée comme une bulle de savon.

Je dois quitter cette clairière.

Mais s’ils continuent à me suivre ?

J’ai vu la taille de leurs dents.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Passé une nuit affreuse.

Ils ne sont pas revenus. Ils étaient tout près, dans les bois.

Ils m’encerclent mais ne se sont pas approchés.

Je n’ose plus aller jusqu’à la lisière pour ramasser du bois mort. Mon feu risque de s’éteindre.

Je crois que je deviens fou.

De telles créatures NE PEUVENT PAS exister.

Elles n’existent pas, c’est contraire à toutes les recherches scientifiques, même si elles m’ont paru réelles.

Pourtant hier, j’ai bien senti leur odeur.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Je ne comprends pas.

Quand j’ai refermé mon cahier hier, la créature était devant moi, me regardant de ses yeux glauques.

Il n’y en a que deux, mais ils changent constamment d’aspect, si bien qu’elle donne l’impression d’en avoir une multitude.

La bestiole s’est approchée de moi en se dandinant, presque à me toucher.

Elle s’est mise à baver et ses poils se sont hérissés comme une crête.

J’ai bondi en arrière et saisi un caillou.

Aussitôt j’ai ressenti une grande douleur au bras, comme une brûlure, et puis ç’a été le trou noir.

Etait-ce bien hier, ou il y a plusieurs jours ? je n’en sais rien.

J’ai l’impression confuse de flotter entre deux sommeils depuis longtemps, et d’être surveillé sans arrêt.

Je n’ai mal nulle part, sauf une petite pointe au bras, vers le biceps.

J’ai toujours mon sac, mon carnet, mes vêtements.

Je n’ai ni faim ni soif.

Il semblerait que rien ne s’est passé.

Sauf que je ne suis plus dans la même clairière, et que j’ai le bras un peu raide et parfois engourdi.

Comment suis-je arrivé ici ?

Tout est calme autour de moi, j’entends même le bruit du fleuve de temps à autre.

Pourtant je suis sûr d’être prisonnier. Mais de qui, ou de quoi ?

Je m’accroche à toi, journal, pour essayer de garder un minimum d’ordre dans mes idées, et pour garder une trace de ce qui se passe ici.

A moins que ce ne soit dans ma tête.

Si c’est le cas, je suis bien mal en point et tu risques de t’interrompre subitement.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Je ne suis pas fou.

Ils existent bel et bien.

Ce sont de drôles d’animaux.

L’aspect en est effrayant, de vrais monstres.

Ils ont la taille d’un gros ballon de plage.

Je ne sais pas trop comment ils font pour que je ne les entende ni ne les vois arriver.

Je sens seulement leur présence, et tout d’un coup ils sont là, tout proches.

Aujourd’hui une bonne douzaine m’a encerclé.

Un seul s’est approché, en se dandinant ridiculement sur ses pieds sans pattes.

Il progresse par bonds minuscules, ses orteils s’agrippant au sol et se détendant comme de minuscules ressorts.

Il avait l’écume aux lèvres et la crête hérissée.

J’ai sauté sur mes pieds en poussant un cri terrible qui m’a surpris moi-même.

Je ne me savais pas capable d’émette un son d’une telle force.

En tout cas le but a été atteint : la bande a disparu aussitôt, se volatilisant instantanément, ainsi que mon agresseur.

Mais jusqu’à quand ?

Je dois rester calme, professionnel, réfléchi.

Je dois me libérer de cette peur et les observer.

Je vais leur trouver un nom.

Céphalopodes.

Non, c’est déjà pris. Je crois que « podicéphales »ça serait bien : « Les pieds dans la tête ».

Ça leur va parfaitement.

Je dois découvrir quelle sorte de bête est-ce là.

 Leur comportement est étrange : ils me surveillent en groupe, mais un seul s’approche.

Ce n’est pas une habitude de prédateur.

C’est même peut-être le signe d’un animal évolué.

Je vais m’appliquer à bouger le moins possible pour gagner leur confiance.

Podicéphales.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Rien de notable aujourd’hui.

Les podicéphales m’ont encerclé comme d’habitude. Deux ou trois se sont mis à baver et à se hérisser.

J’en avais la chair de poule mais j’ai humblement baissé les yeux en inclinant la tête, en restant toutefois sur mes gardes.

Ils sont restés un peu plus longtemps, certains se tournant vers d’autres, tout hérissés et bavant, mais ils ne sont pas allés jusqu’à s’agresser.

Ils se sont évaporés quand j’ai sorti mon stylo de ma poche de chemise, ils s’étaient simplement un peu figés en me voyant fouiller mon sac à la recherche de mon carnet.

Ils m’ont surveillé de loin, j’en suis sûr.

Je ne sais pas à quoi, mais je le sais.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

C’est une chose étrange, je n’ai ni faim, ni soif.

Depuis que je suis dans cette clairière, je n’éprouve aucun besoin physiologique.

Pourtant je suis en forme et ni mon corps ni mes facultés intellectuelles ne semblent en perte de performances.

J’ai même l’impression étrange que lorsque les podicéphales sont invisibles et me surveillent, je sens mon estomac se remplir progressivement.

Etrange sensation, c’est totalement incompréhensible.

Je suis de plus en plus détendu, je passe mes journées à les observer, car ils se cachent de moins en moins.

Ils se contentent de s’évaporer au moindre geste un peu vif de ma part.

Je dors tranquille, maintenant, je ne rêve plus de bulles.

Je sais maintenant que je ne rêvais pas, les bulles c’étaient eux.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Je viens de comprendre quelque chose : lorsque les podicéphales se mettent à baver en hérissant leur crête de poils, ce n’est pas une menace, mais une salutation.

L’équivalent  d’un sourire ou de notre poignée de main.

Ils peuvent détendre avec une rapidité incroyable les espèces de bras tire-bouchonnés qui leur sortent des oreilles, aussi vivement que la langue d’un caméléon gobant une mouche.

Je me demande bien à quoi peut servir la pince à trois griffes qui se trouve au bout.

Pas à chasser, puisque je ne les vois jamais manger de viande.

En réalité je ne les vois jamais manger, comment se nourrissent-ils ?

Idem pour les déplacements : leurs pieds ne sont pas du tout fonctionnels, juste pour des bonds minuscules et laborieux.

Et pourtant ils disparaissent en un clin d’œil.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

C’est ça, leur moyen de déplacement : ils éclatent comme des bulles de savon et se reconstituent à l’endroit de leur destination.

C’est en tout cas l’impression que ça donne.

Comment font-ils ?

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Aujourd’hui il y avait deux podicéphales de plus dans le groupe.

Deux petits.

Ils n’ont pas les poils hirsutes comme les autres, à ce qu’il me semble, mais laineux et frisés comme ceux d’un caniche.

Apparemment, parce qu’en réalité je ne peux toujours pas les approcher, ils disparaissent dès que j’arrive.

Ours, une heure ?avec moi.

Je m’entraîne à baver pour les saluer à mon tour, sans aucun talent pour hérisser mes cheveux à volonté.

Il va me falloir trouver un autre signe de bienvenue, car mes tentatives sont assez piteuses.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Ce matin au réveil, j’ai trouvé une sorte de cabane toute ronde et feuillue dans un coin de la clairière.

On aurait dit un buisson, mais il y a un ingénieux système de porte, impossible à voir de loin.

Il y a un matelas de fougères très épais à l’intérieur.

Ça ne ressemble pas à un nid de chimpanzé, mais bel et bien à une maison.

Comment l’ont-ils fabriquée sans que je m’en aperçoive ?

Aucun rêve, aucun éveil cette nuit.

Peut-être le bruit du fleuve un peu plus fort, c’est tout.

Peut-être que les fourrés autour de la clairière sont leurs abris, c’est pourquoi je n’ai pas le droit de m’approcher trop près.

Si c’est le cas, cette clairière est le centre de leur village.

Et si c’est un village, c’est que ce sont des …. gens.

Aucun animal au monde ne serait capable de bâtir une maison pour l’offrir à un autre, en tout cas d’une espèce différente de la sienne.

Et pourtant ils m’ont fait ce cadeau.

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

J’ai trouvé un moyen de manifester mes bonnes intentions et de les remercier.

Je bave moi aussi et je porte mes mains à hauteur de mes oreilles pour simuler leurs bras, en mettant mes doigts en pince.

Ça a l’air de leur plaire, ils se sont tournés les uns vers les autres avec satisfaction, commentant l’évènement.

Ce que je prenais pour le bruit du fleuve, c’est leur langage.

Ça risque d’être compliqué d’avoir avec eux une conversation suivie, je n’arrive pas à trouver des articulations dans ce chuintement.

Je suis de plus en plus persuadé que je ne suis pas face à des animaux, mais à une sorte d’humanité :

Ils construisent des maisons,  ont un langage et essaient de communiquer avec une espèce inconnue (moi, en l’occurrence), et sont capables de faire un cadeau désintéressé

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

Le mystère de mon arrivée ici est éclairci.

Ce matin un ours est apparu en lisière de forêt pendant que mes nouveaux amis tentaient de m’initier aux joies de la conversation.

Je ne suis, entre nous soit dit, pas vraiment très doué, mais ils semblent avoir une patience infinie.

Bref, l’ours s’est rapproché des jeunes et s’est mis à charger.

Aussitôt tous les bras se sont détendus et les pinces se sont solidement accroché à sa fourrure, le tout en un éclair.

Le fauve s’est écroulé sur un matelas de bulles qui l’a emporté au loin en une fraction de seconde.

Voilà DEUX mystères résolus : les bras sont des armes défensives (ce qui explique ma douleur au bras), et les bulles n’éclatent pas, mais se déplacent si vite qu’on peine à les suivre du regard.

Quand un danger menace la tribu, on l’engourdit et on l’évacue.

Des animaux tueraient, et bon nombres d’humains aussi.

Serais-je en présence d’une forme supérieure d’humanité ?

∞∞ ∞∞∞∞∞∞∞∞

J’ai maintenant la preuve que les podicéphales m’ont adopté. Je suis désormais libre de mes mouvements et on laisse les jeunes s’approcher de moi  sans qu’aucun adulte ne les surveille, si ce n’est de loin.

J’ai compris qu’une grande cérémonie aurait lieu lorsque la semaine dernière (ou bien était-ce hier, ou il y a un mois, ou l’an dernier ? je ne sais plus…) tout le village était rassemblé devant ma hutte lorsque j’en suis sorti. Je me suis trouvé transporté au milieu du cercle et assis en tailleur. Les jeunes (oserais-je dire les enfants ?) ont entamé une sorte de danse comme parfois je les vois faire entre eux. Puis chaque adulte s’est propulsé vers moi. Certains dans une détente rapide de leurs si curieux bras m’ont piqué aux jambes, aux genoux, aux mains. J’étais très impressionné. Je pensais sans oser me l’avouer que ma dernière heure était arrivée.

Celui que je crois être le chef est alors arrivé et m’a criblé le cuir chevelu de picotements désagréables car un peu douloureux.

Ma terreur était à son comble lorsque son alter ego, ou sa femme, ou sa femelle ou je ne sais quoi d’autre, est arrivée comme flottant dans l’air et s’est frottée toute entière contre mes yeux. Elle semblait les essuyer de sa fourrure. Ce n’était pas douloureux, seulement étrange.

Je ne me souviens plus de rien d’autre.

J’ai eu très peur, quand je me suis réveillé je ne voyais plus rien. Pendant un jour, deux jours, une heure ? j’ai l’impression que c’est deux jours, je ne sais pas pourquoi.  Deux jours emplis d’éclairs blancs et de trous noirs.

Et depuis il se passe des choses bizarres. Je ne suis pas mort.

Mais je n’ose plus m’asseoir en tailleur dans la clairière.

Les podicéphales doivent savoir ce qui m’arrive car je les entends glousser et s’agiter derrière les feuillages. Ils attendent et regardent.

Je ne peux plus m’asseoir en tailleur dans la clairière.

Si je lève les yeux au ciel, je vois des choses bizarres. J’ai toujours cru que le ciel était juste une couleur.

Ou plusieurs. Mais là ce sont des formes.

C’est toujours le ciel, et pourtant ce sont des formes.

Je ne veux plus m’asseoir en tailleur dans la clairière.

J’ai vu les silhouettes des animaux disparus. Mon imagination malade me fait voir le combat des Titans. J’ai vu le tyrannosaure arracher des morceaux au tricératops.  Un horrible crocodile préhistorique m’a menacé de sa gueule grande ouverte qui aurait pu engloutir le monde.

Je ne veux plus m’asseoir en tailleur dans la clairière.

Ce ne sont pas des silhouettes, ce ne sont pas des images. Ce sont des êtres vivants. Ils sont là, ils existent, je vois les détails de leurs yeux, de leurs corps, leurs écailles et leurs griffes. J’ai vu le dodo perdre une plume en se faisant tuer par un chasseur et renaitre de ses cendres. Ce sont des morceaux de ciel et ils sont vivants. Ils sont là et si je faisais un effort je pourrais les toucher. Je pourrais les comprendre car tout leur corps me raconte leur histoire.

Je ne veux plus m’asseoir en tailleur dans la clairière.

Hier j’ai vu mon père, il m’a tendu la main. J’ai failli la serrer, j’ai caché mon visage dans mes mains, elles ne répondaient plus, je les sentais se racornir.

Quand j’ai relevé les yeux, il était toujours là, et derrière lui son père, et le père de son père. Et toutes les femmes de la lignée.

Puis il y a eu un trou noir, et le ciel est redevenu bleu, uniformément bleu.

Dans les fourrés, ça gloussait.

Demain j’irai m’asseoir en tailleur dans la clairière.

Séverine L.

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