14 juin 2019
Simona,
Nous avons échangé des whattsapp récemment avec les photos de la plage du Cotentin où j’ai passé quelques jours avec mon groupe d’écriture.
De retour chez moi, dans le Perche, je me suis dit que je voulais t’écrire une vraie lettre, comme lorsque nous étions jeunes et que j’étais partie à Londres.
Qui aurait dit que 45 ans après je serais toujours loin, toujours à l’étranger ?
Tu es restée à Milan, dans la même rue.
J’ai une amie ici qui a eu le même parcours que toi, née ici, elle y est restée, elle vit dans une grande ferme et cultive son jardin potager. Sa mère l’aide tous les mercredis.
Je l’envie, je vous envie. (Façon de parler car l’envie ne fait pas partie de mon répertoire)
Après avoir cru que je m’étais enfin inscrite dans un lieu pour de bon, avec un bon compagnon de surcroit, je vois à nouveau mon monde basculer.
Tu sais ce qui est arrivé à l’automne dernier, ça a été une immense tragédie. G ne s’en remettra pas. Il est toujours dans son jardin, ça l’occupe et l’apaise mais souvent quand je vais voir où il est, je le trouve assis, le regard dans le vide. Quand je lui parle, j’ai l’impression qu’il ne m’entend pas.
Je me suis donc rendue compte que cette belle maison, cet endroit féérique où nous habitons, ne sera pas là pour toujours. Je vais à nouveau devoir bouger, à nouveau me déraciner. Encore et encore, la vraie juive errante.
Tout ça et mon incapacité à mener à bien un projet personnel quelconque, que ça soit la photo ou l’écriture, me rend anxieuse.
L’anxiété je m’y connais. Le yoga et la méditation m’aident un peu, et encore…
Je t’écris tout ça car je sais que tu me connais, tu sais qui je suis et combien j’aspire à la stabilité et à une vie utile.
Je marche tous le jours et dans la marche je trouve une forme d’apaisement, des idées aussi.
Parfois je trouve que j’ai même trop d’idées.
Récemment, une amie écrivaine qui me veut du bien, m’a gentiment bousculé. Elle a vu clairement mon problème et a déclaré qu’elle ne me lâchera pas tant que je n’aurais pas écrit le livre dont je parle depuis un bon moment et que bien évidemment j’ai commencé une dizaine de fois…
Commencer n’est pas mon problème, continuer l’est.
Je ne t’ai jamais parlé de ce projet d’écriture. Le sujet me tient à cœur et tant que je ne l’aurais pas couché sur papier, tant que je ne l’aurais pas déposé, je crois que je ne pourrais pas passer à autre chose.
Je t’appellerai la semaine prochaine pour te demander une ou deux choses.
C’est vrai qu’à l’époque des faits que je veux relater nous nous voyions moins mais je voudrais savoir ce dont tu te souviens de cette époque lointaine.
Ma fille Helen ne me hante plus l’esprit, je sais qu’elle est heureuse et qu’elle a eu une famille aimante, tout va bien de ce côté-là je crois.
C’est plutôt de mon coté qu’il n’y a pas résolution mais une blessure qui tant que non dite, continuera à m’ulcérer.
Je vais devoir admettre l’inadmissible, le déracinement et la perte. Même si, je l’ai décidé une fois pour toutes : "Tout va bien madame la marquise !"
Je t’embrasse très fort et qui sait, il se peut que je revienne vivre en Italie, en Toscane peut être, comme ça nous serons proches.
Je t’embrasse fort.
Ton amie,
Coco