(Toulouse Lautrec, portrait d'un de ses amis)
Que se passe-t-il autour du personnage central, un homme en queue de pie et haut de forme noir au visage penché, à la mine triste et méditative, regardant vers le bas d’un air pensif ?
Le sol rougeoyant se dérobe et la chevelure rousse d’une femme de dos qui semble le dédaigner fait signe au sol fuyant.
Plusieurs détails étranges ponctuent ce tableau. D’une part, le portrait dessiné à grands traits de l’homme qui se situe à gauche de la femme attire le regard, car son visage ressemble à une caricature de Daumier : un nez bourgeonnant, un crâne chauve étalé, des yeux et une bouche proéminents, le tout auréolé d’un rose pâle. Est-ce un personnage non terminé par le peintre ou cette couleur plus claire cernée de rose indique-t-elle qu’il est fasciné par cette femme avec laquelle il a une conversation agitée ?
Dans une première approche, le spectateur peut imaginer qu’il s’agit d’un jeune homme pauvre éconduit qui se voit préférer un vieux et laid barbon fortuné.
Mais est-ce bien cela la clé du tableau ?
Sur la partie gauche, un autre détail encore plus saugrenu, attire notre attention : est-ce un tableau, un miroir, une vignette peinte sur une armoire ou une échappée vers une scène de théâtre vue au loin dans un couloir ? Dans une atmosphère rougeoyante, on discerne à peine un couple dans ce qui semble être une chambre, l’homme à moitié couché sur le lit, la femme silhouette imprécise au pied du lit. Est-ce la dimension du fantasme, l’ouverture sur l’imaginaire, les feux de l’enfer de la passion qui dévorent à la fois le jeune homme et l’homme âgé ? Ou est-ce la représentation du temps, à cause de ce registre lointain dans le tableau, le temps de ce qui a été et ne sera peut-être plus ni pour l’un ni pour l’autre ? Cette vignette par sa situation à part n’indique-t-elle pas qu’elle concerne les deux personnages masculins et peut-être aussi la femme rousse ?
Et ce sol rouge en accéléré ne symbolise-t-il pas aussi la fuite du temps, que rien ne peut empêcher de passer, ni la nostalgie, ni la passion ?
Ce sont ces détails étranges qui font le tableau, son intérêt inépuisable, car aux questions que posent ces détails, il n’y a pas de réponse.