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C’était un dimanche après-midi où lair était exceptionnellement pur, sans un souffle de vent, et la mer irisée de mille reflets clapotait, papotait tranquillement.

Pas un nuage, pas même le voile léger déroulé tel une brume subtile et impalpable pour faire écran au ciel bleu, derrière lequel parfois il se cachait. Lair était si pur que lautre rive de la baie dAlger était visible, et même semblait bien plus proche quelle ne l’était réellement.

Le club de voile de La Pérouse, dans les environs dAlger, où nous allions passer nos week-end, décida alors dorganiser une promenade en mer à plusieurs bateaux. Ce genre d’échappée simultanée, coordonnée et festive était rare. Il fallait profiter du temps splendide et du faible, mais régulier souffle de vent.

Mon père partit en 505 avec un ami ; cest un bateau rapide et sportif, avec lequel il est possible de tirer des bords rapprochés, et qui nécessite de savoir se positionner en trapèze, les deux pieds bien calés sur le bord du bateau et le corps à lextérieur, en équilibre, retenu par un harnais.

Je fus embarquée avec une amie de mon âge, nous avions huit ou dix ans, dans un Vaurien avec un ami de mon père à la barre. Le Vaurien est un bateau stable, moins rapide, moins profilé, plus massif que le 505 et rassurant.

Nous nous étions éloignés et voguions tranquillement, le bateau poussé par la brise légère, et profitions de lair marin en nous apostrophant dun bateau à lautre.

Soudain le ciel se couvrit en quelques minutes, surprenant tous les équipages. Le vent changea de direction, se mit à souffler très fort et il commença à pleuvoir dru. Tout lespace autour de nous était chamboulé, déstructuré, et grondait comme si la mer allait nous avaler. Le Vaurien ne répondait plus aux manœuvres tentées par son barreur et lami de mon père commençait à paniquer, seul avec les deux enfants à bord.

Il sagissait, nous lapprîmes plus tard, dun grain, soudain et brusque changement de direction et de force du vent, accompagné de rafales puissantes, de pluie, dorages, parfois de neige. Il ny a pas de prémisses à ce phénomène météorologique violent et imprévisible, redouté des marins.

Les autres voiliers étaient arrivés à rentrer et nous discernions sur le rivage les parents faisant de grands gestes avec les bras : « Revenez ! Revenez ! « . Oui, mais il eût fallu pouvoir le faire ! Au contraire, le Vaurien se dirigeait de plus en plus vers le large, sa voile abaissée pour quil ne chavire pas. Il n’était plus sous contrôle.

Les haubans grinçaient, le vent soulevait des vagues rapides qui claquaient sur le flan du bateau, la mer était devenue dun vert à la fois pâle et glauque. Nous étions frigorifiées car nous navions rien enfilé de chaud.

Lami de mon père tentait de nous rassurer en nous disant que cela allait bientôt sarrêter, mais nous voyions bien quil nen était pas sûr.

Le vent forcît encore, il donnait limpression de tourbillonner comme sil cherchait à déstabiliser le petit bateau, la mini-tempête devenait impressionnante. Le Vaurien pourtant, devenu un frêle esquif, résistait aux bourrasques et aux lampées deau qui parfois passaient par dessus bord.

Puis, dun coup, sans quon puisse du tout le prévoir, tout se calma. Plus de vent, plus de tangage, plus de pluie, plus de grondement des nuées, le ciel redevint progressivement serein, bleu comme auparavant. On aurait cru avoir rêvé !

La mer retrouvait son statut de large étendue deau profonde et paisible. Le grain était passé. Mais il emportait avec lui notre sentiment denfants sûres de linvincibilité des adultes et de leur capacité à nous protéger, nous persuadant quil ne faut pas sous-estimer les inconstances et les coups de colère de la Nature, ni ignorer quelle peut se montrer la plus forte.

Christine L.

Tag(s) : #Le vent, #Christine L., #Textes des participants
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